51 - Des météores ?

(Questions impériales sur Satoshi - II)

Le colonel Chabert déjà évoqué ici pour évoquer l'impossible retour de Satoshi fait lui-même signe vers un autre revenant, d'un tout autre poids historique : Quand je pense que Napoléon est à Sainte- Hélène, tout ici-bas m’est indifférent dit-il.

un retour

Or l'Empereur, lui, avait déjà réussi un premier retour : le 1er mars 1815, il débarqua à Golfe Juan, revenant de l'ile d'Elbe après 10 mois d'absence et il fut "reconnu" immédiatement. Balzac, encore, fait dire à son Médecin de campagne : Avant lui, jamais un homme avait-il pris d'empire rien qu'en montrant son chapeau ? Bonne question... Ce vol de l'Aigle fit longtemps espérer par ses partisans un nouveau prodige.

LeysCe miracle d'un nouveau retour après une évasion rocambolesque de Sainte-Hélène à laquelle Napoléon semble s'être toujours refusé (*), certains romanciers l'ont imaginé. Simon Leys (1986), tout en supposant que l'empereur revient vivant en France, s'intitule tout de même le sien "La mort de Napoléon" et il n'est pas sans rapport avec ce qui peut être la situation d'un génie inconnu comme Satoshi : l'impossibilité non seulement de "revenir", mais plus radicalement d'être soi-même.

Comme il ressemblait vaguement à l’Empereur, les matelots l’avaient surnommé Napoléon. Aussi, pour la commodité du récit, ne l’appellerons-nous pas autrement. Et d’ailleurs, c’était Napoléon. (...) Seul le maître d'équipage désapprouvait cette appellation. Que l'on associât le nom de son dieu à ce petit homme laid avec son ventre enflé et ses jambes grêles, lui paraissait sacrilège.

en 1820Il est vrai que le portrait fait de lui par un anglais en 1820 laisse envisager combien peu reconnaissable aurait pu être l'enfant prodigue de la gloire après quelques années de pourissoir tropical.

Mais l'auteur vise au coeur, présentant Napoléon étranger à lui-même sur le bateau de son évasion : Entre le personnage qu'il avait dépouillé et celui qu'il n'avait pas encore créé, il n'était temporairement personne. Débarqué à Anvers il ne reconnut pas même le bassin Napoléon qu'il avait inauguré en personne dix ans plus tôt. À Waterloo il a le sentiment d'être là pour la première fois. À Paris le voici errant, recueilli comme vieux soldat par de vieux soldats, tous nostalgiques de l'empire. Et un jour la terrible nouvelle arrive. Sur la petite île lointaine, l'empereur (son sosie, donc) vient de mourir. Tout le monde pleure autour de lui. Lui est foudroyé, sa destinée devenait posthume.

Voici maintenant qu'un obscur sous-officier, rtien qu'en mourant sottement sur un rocher désert à l'autre bout du monde, avait réussi à dresser sur son chemin le rival le plus formidable et le plus inattendu qu'on puisse concevoir : lui-même !

S'il revenait Satoshi n'aurait-il pas à se battre contre Satoshi lui-même?

Le Napoléon de Leys est vrai, extrêmement crédible. Et pourtant il "se reconstruit" (ce mot que Jean-Paul Kauffmann déteste) ... comme marchand de melons. Le personnage de l'empereur est désormais largement occupé par les fous. Une visite à l'asile l'en convainc : une malheureuse épave présentait une image mille fois plus fidèle, plus digne et plus convaincante de son modèle que l'improbable fruitier chauve qui, assis à ses côtés, l'examinait avec stupeur.

James Sant 1900Napoléon vieillit : chaque fois qu'il se rendait chez le barbier, il mesurait dans le double miroir avec une fascination hypnotisée l'effacement progressif de ses traits originaux, petit à petit supplantés par ceux d'un inconnu qu'il méprisait, qu'il haïssait - et qui lui inspirait une horreur grandissante. C'est ce que peut suggérer la toile de James Sant La dernière phase (1900) récemment présentée au public lors de l'exposition Napoléon à Sainte-Hélène au Musée de l'Armée.

Jusqu'où peut-on comparer Satoshi Nakamoto à Napoléon Bonaparte ? Au plan psychologique, nul n'en sait rien. Quant à l'amour des mathématiques, il est patent chez les deux hommes (*). C'est au regard d'une forme particulière de génie, qu'il y a, me semble-t-il, chez l'inconnu de 2008 une sureté du regard, une capacité d'agencer de manière proprement lumineuse des facteurs de nouveauté révolutionnaires avec des éléments pré-existants (d'ancien régime) que l'on retrouve chez le Premier Consul. Enfin c'est surtout dans l'optique d'un Hegel ou d'un Marx qu'il me paraît que la comparaison est permise.

hegel

Pour Hegel(*), Napoléon est l'instrument de l'Absolu sur le théâtre du monde, Napoléon, en entrant à Iéna l'épée en main le jour où le philosophe achève sa Phénoménologie de l'Esprit, devient le héros de l'histoire moderne. Je ne crois pas forcer le trait en le retrouvant chez Satoshi. Il s'empare d'une citadelle, celle de la monnaie, achevant un mouvement multiséculaire de libération de l'homme des corps intermédiaires, des liens et des autorités. Le P2P, c'est l'Absolu du 21ème siècle.

Renversant l'idéalisme hégélien tout en conservant sa dialectique historique, Karl Marx ne voit en Napoléon ni l'empereur romain du sacre ni le dieu de la guerre mais le génie qui va permettre l'éclosion de la société bourgeoise moderne en France et sur une bonne part du continent. Il reviendra à d'autres de dire, de même, ce qu'aura été réellement le travail historique de Satoshi Nakamoto.

Mais quand le travail est accompli, l'histoire se passe assez bien des grands hommes. En 1791, le lieutenant corse de 22 ans l'avait déjà noté : les hommes de génie sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur siècle. Plutôt que de pourrir en victime de ses ennemis, autant faire comme Satoshi et move on to other things.

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