41 - Questions philosophiques rue du Caire

La Maison du bitcoin organise régulièrement des petites séances d’initiation au bitcoin, aimablement ouvertes à tous. Je m’y suis rendu mercredi 27 janvier avec ma petite idée, qui consistait à écouter moins l’orateur ( Manuel Valente, très clair) que les questions de la salle.

En réalité, les gens qui viennent rue du Caire ont déjà de l’intérêt, voire de la sympathie, pour cette expérience fascinante, tant d’un point de vue monétaire que d’un point de vue que je dirais… philosophique.

Et justement, très vite je me suis aperçu ce mercredi, que sous le masque des visiteurs, s’étaient fort probablement glissé de grands philosophes. Qu’on en juge à l’examen (dans l’ordre) des questions posées par la salle. On y retrouve les Anciens...

les Anciens

... et les Modernes !

les Modernes

Qui les fabrique, les bitcoins ? Il faut comprendre quel type d’hommes, en accomplissant quel travail, en déployant quels efforts. Karl (Marx, pas Chappé !) on t’a reconnu.

Et moi est-ce que je peux en fabriquer ? Adli Takkal Bataille, avec qui j’ai partagé mes idées et mes doutes, suggère que Friedrich Hayek avait pu se glisser sous la peau de celui qui a posé cette question. Mais j’incline à y voir un retour de Søren Kierkegaard, précurseur des existentialistes pour qui une philosophie que le penseur lui-même n’habite pas n’est qu’un palais vide.

Comment ça se fait que ça ait marché ? Question leibnizienne, rudement téléologique : le bitcoin marche parce qu’il est la meilleur monnaie possible, dans le meilleur des cyber-espaces possibles. Variante Bossuet : le bitcoin participe au plan providentiel.

Combien y a t-il de mineurs? La question pourrait paraître sans grand enjeu philosophique, sauf à un positiviste, genre Auguste Comte qui pensait que nous ne connaissons ni l'essence, ni le mode réel de production, d'aucun fait : nous ne connaissons que les rapports de succession ou de similitude des faits les uns avec les autres. Ce genre de pensée ne m’a jamais passionné…

Donc ce n’est pas écologique A cet ergo, on reconnaît tout de suite le cartésien. Qui d’ailleurs se soucie peu de la nature puisque Dieu et Satoshi en ont rendu le bitcoineur maître et possesseur

Le système a-t-il déjà été bloqué ? Un disciple du mathématicien Kurt Gödel, si ce n’est le maître lui-même, venu vérifier que, selon son célèbre théorème, il y a toujours un truc incomplet ou foireux à dénicher partout (je résume).

Comment est organisée la gouvernance ? On peut penser ici à Rousseau, qui expliquait doctement que quelque part au néolithique les gars avaient posé la massue dans un coin de la caverne et passé un pacte entre eux au nom duquel on peut aujourd’hui supprimer l’état de droit. Il aurait aussi bien pu imaginer une gouvernance pour le bitcoin. Mais trêve de cynisme potache : c’est plutôt du côté de Machiavel qu’une gouvernance du bitcoin trouvera un jour sa description.

Comment on fait concrètement pour acheter ? Fatigué du ciel des idées, c’est ici Aristote qui parle.

les livres jadis se rangeaient

On n’a pas de recours? Non. C’est bien embêtant pour un humain, sujet à l’erreur et au péché. On remercie quand même saint Thomas d’Aquin, pour qui l'acte humain n’est volontaire que s'il est rationnel et libre, d’avoir soulevé la question.

Qu’est-ce qu’on peut acheter avec ça? Rien, bien sûr, diront les cyniques qui ne le sont jamais autant que leur maître, Diogène, qui lui voulait abolir la monnaie…

autres temps, autres moeurs

Pourquoi la valeur est hyper fluctuante? Parce que tout change, qu’on ne se baigne jamais dans le même fleuve. Héraclite d’Ephèse était là, lui aussi.

Pourquoi les banques disent de s’en méfier? Avec une question aussi naïve, le choix est simple. Soit l’interlocuteur se fiche de vous, soit c’est Socrate redivivus qui va vous prendre par la main et vous faire accoucher de la vérité qu’en réalité vous connaissez déjà.

Quand est-ce qu’elles font leur propre monnaie? Nicolas Oresme, impatient d’en finir.

Comment est-ce que vous gagniez votre vie? Saint Paul l’écrit (2Th3,10) : celui qui ne travaille pas, qu’il ne mange pas non plus. L’ancien séminariste Joseph Staline (un philosophe géorgien) aimait bien cette citation qui rappelle opportunément qu’il faut quand même faire bouillir la marmite.

Comment la clé sait-elle quelle valeur il y a sur une adresse? Selon mon ami Adli, la question indiquerait sinon la présence directe de Heidegger, du moins son influence sensible.

A noter que personne dans la salle n’a demandé si le bitcoin servait à acheter de la drogue :Herbert Marcuse ne court plus les rues. Personne non plus n'a demandé si le bitcoin finançait l’état islamique : les gens ne lisent donc plus le journal et font davantage confiance au rapport d’Interpol, qui dit que non.

Hathor place du Caire

Comprenne qui pourra.

Commentaires

1. Le 31 janv. 2016, 07h53 par Morgan Phuc

Les questions posées reflètent bien la difficulté qu'éprouve le citoyen a appréhender Bitcoin tant sa structure sort du paradigme habituel de la gouvernance et de l'organisation centralisée. Les gens se doutent bien qu'il faut changer structurellement de mode de pensée et en ont peur ! En laissant tomber les préjugés et en réfléchissant de manière différente grâce à Bitcoin, au-delà de l'aspect monétaire ce sont de nombreuses alternatives qui s'offrent alors...

2. Le 1 févr. 2016, 10h49 par Manuel Valente

Merci pour cet article résumant bien les interrogations qui nous sont adressées lors de nos séances d'introduction. Vous n'avez malheureusement pas eu droit à "Quels sont les liens du Bitcoin avec la NSA ?" ou "Quand pourrai-je acheter des Bitcoins chez HSBC ?"

3. Le 18 févr. 2016, 06h56 par Frédéric

Bonjour,
Ça me fait rudement penser à : Est-ce que le scimilimili le chimil...le schmilbilique est jaune ?
(pour anciens de l'ENS seulement).

Cher Monsieur, vous avez bien raison de  penser à Coluche. Mais je l'ai déjà cité dans un papier "pour en parler aux autres

JF

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