40 - Tintin et l'hype"Я"texte

Chacun a compris ici ou sur le site ami bitcoin.fr que je fais partie, quelque part entre 7 et 77 ans (et plus près de la limite haute) d'une des nombreuses générations Tintin. Depuis plusieurs jours je méditais un nouveau billet avec l'idée de l'illustrer par de curieux détournements de cette œuvre immense. Les événements, comme on va le voir, se sont télescopés ce qui m'a paru un signe étonnant.

De quoi s'agissait-il au début ? Des liens hypertextes, qu'un amendement proposé par deux députés vise ni plus ni moins qu'à interdire.

Tintin et l'hypertexte

Depuis quelques jours en effet, ledit amendement a fait enfler un débat un peu surréaliste, tant d'un point de vue juridique puisqu'il s'agit de contourner un arrêt de la CJUE, que d'un point de vue technique puisqu'il s'agit de débattre de la nature même du lien permettant un accès pas forcément autorisé - c'est vrai - à une œuvre protégée par la loi mais exposée par la technique.

de quoi rireCe projet (qui n'est pas la première manifestation de compassion politique pour les "ayants droit") a provoqué moins d'effroi que d'hilarité de la part d'une vaste communauté qui considère le cyber-espace comme libre à tous égards, et les biens culturels comme ayant un coût/prix marginal nul.

On peut en disputer savamment, mais notons d'abord que ce qui apparaît comme légal à l'opinion tend à le devenir en bien des domaines. Notons ensuite qu'une loi qu'on ne saurait faire appliquer est une sottise. Toutes les tentatives d'interdire les liens se sont soldées par des échecs, comme le rappelle opportunément Libération...

En matière de protection bornée du droit d'auteur, fût-ce au bénéfice d'un ayant droit, il y a un mètre étalon: c'est l'entreprise Moulinsart. Il lui arrive de pousser le bouchon jusqu'à perdre ses procès. Cette entreprise est gérée d'une main avide par un monsieur dont le principal titre est d'être le second mari de la seconde femme d'Hergé et qui, bien au-delà du contrôle des décors de mugs ou de T-shirts, prétend contrôler pratiquement toute la production intellectuelle ou artistique, comique ou savante, sur une œuvre qui n'est pas la sienne, quand bien même elle lui appartiendrait financièrement.

le DUpondt sans peineParmi ses victimes figura, en 1997, l'humoriste Albert Algoud qui publiait alors un savoureux "Le Dupondt sans peine" pour lequel il se vit purement et simplement interdire la reproduction de la moindre vignette. L'ouvrage n'était en rien une attaque contre l'œuvre ou la mémoire de Hergé et ne portait nul préjudice moral ou commercial à Tintin.

Comme on sait, il ne sert à rien de contraindre les gens imaginatifs, car cela les rend plus imaginatifs encore. Si Tintin fait rêver, c'est qu'il reste des rêveurs, et que le lien entre lui et ses fans n'est pas commercial.

L'ouvrage fut donc illustré, et bien illustré. D'abord par des dessinateurs amis (ou complices ?) qui réinterprétèrent les Dupondt en dépit des foudres de leur "propriétaire".

d'autres Dupondt

Dupond et Dupont se virent transformés en véritables fétiches. Sans risque puisque ce dessin ne copie pas directement un dessin effectivement signé de Hergé.

fétichisme

Mais au-delà, quand il lui fallait copier et non détourner, Algoud inventa une forme originale de citation: la vignette blanche, ou "case fantôme", dont l'image (que chacun connaît déjà et que les vrais amateurs de Tintin peuvent se représenter par la pensée) est absente, mais assortie d'un gentil appel au crime. Comme cela :

découper2

Ou en désignant narquoisement l'enquiquineur à la vindicte populaire...

fielleux

pillageEn termes propres, il s'agissait bien de piller, au moins symboliquement. Et tout cela sans que le mot Internet ne soit énoncé. À l'époque il y avait une quarantaine de millions d'ordinateurs connectés. Trois ans plus tard ce nombre avait déjà été multiplié par dix. Il y aurait aujourd'hui plus d'un milliard de sites.

Tintin, Haddock, les Dupondt et Tournesol n'ont donc jamais pu être totalement aliénés aux intérêts financiers de la "famille", malgré la force de frappe financière (et donc juridique) qu'on peut lui supposer.

S'il lui arrive de gagner en justice, une simple intimidation suffit le plus souvent. C'est ce qui vient de se produire avec le (déjà culte) étudiant belge connu comme "Un faux graphiste". Ce tintinophile averti avait ouvert un site de détournement de Tintin avec des dizaines de planches extrêmement bien vues, largement reprises sur sa page Facebook.

Je donne ces informations pour que chacun puisse prendre ses précautions. Les dessins vont en effet être retirés suite à des menaces de "Moulinsart".

Je cite "Un faux graphiste": Mes détournements de Tintin n'ont jamais généré aucun profit, on s'est juste bien marré pendant un an. Moulinsart veut que je les supprime de la page, et n'ayant aucune ressource financière, je ne compte pas m'engager dans une bataille juridique, sans doute perdue d'avance. Ils seront supprimés dans le courant de la semaine, et ça me fait mal au coeur… Ses fans, dont je suis, partagent sa déception. mais la guérilla continue. Je parie un bitcoin qu'on trouvera toutes ses planches en ligne dans un an, dans cinq ans, dans cent ans.

Sur Internet on trouve tout et le pire. Et quant à l'honneur de Tintin, bien pire que ce que faisait le malheureux graphiste belge : comment Tintin s'y prend avec les filles (ha ! ha !) et même comment Tintin aime Milou.

Tu viens de cliquer sur ce second lien, ami lecteur, et tu es déçu : il ne s'est rien passé. Désormais La Voie du Bitcoin appliquera la loi : plus de lien hypertexte. Mais tu peux recréer toi-même un "lien Algoud" : copie les mots joliment coloriés en bleu et colle les dans la barre Google. Cela doit sûrement pouvoir s'automatiser. Il va donc falloir aussi interdire de colorier les mots en bleus. Il serait même prudent d'interdire Google s'il ne respecte pas toutes les lois françaises. Le Parlement va aussi écrire à Internet Inc. pour faire remplacer l'arobase (@) par le (à) qui est tout de même plus français. Il suffira de mettre à jour quelques milliards de pages et quelques millions de programmes.

Allez, préparons-nous pour la grande révolution numérique à la française, avec un zeste d'humour belge et un reste de compassion pour les jeunes entrepreneurs, et disons au-revoir à ... Un faux Graphiste.

les jeunes entrepreneurs (copie illégale puisqu'aucun droit n'est reversé à l'étudiant belge, que je félicite pour son fair-play autant que pour son talent! )

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://blog.lavoiedubitcoin.info/trackback/93

Fil des commentaires de ce billet