125 - Psychopathes

Pour la première fois, nous dit-on un peu partout, une étude scientifique s’est penchée sur les comportements qui motivent les acheteurs de cryptomonnaies. Parmi les bitcoineurs, c'est surtout l'emploi du mot  psychopathe  qui a frappé. Bien des profils déjà ornés de laser eyes sur les réseaux sociaux se sont enrichis d'allusions psychotiques.

 Actuellement, les raisons pour lesquelles les gens achètent des crypto-monnaies ne sont pas bien connues . On pensait pourtant avoir tout lu : pour acheter de la drogue ? Pour financer le terrorisme ? Pour spéculer honteusement et avoir  un compte en Suisse dans la poche  comme l'avait dit M. Obama ? Le temps passant, et surtout l'intérêt pour Bitcoin et la cyber-économie croissant, il était grand besoin de trouver autre chose que ces préoccupations socialement marginales.

Il suffisait de prendre le problème par l'autre bout. De quoi ont peur aujourd'hui les élites gouvernementales, médiatiques et parfois universitaires ? Des complotistes et de leurs fakes, avec en arrière-plan le Mal, ou Poutine son serviteur. Inutile de s'attarder à repérer l'archaïsme d'un schéma explicatif reproduisant quelque peu le pécheur, son péché et Satan  père du mensonge . Mettons juste cela au goût du jour et à défaut d'un exorciste confirmé, envoyons à l'assaut quelques missionnaires frottés de psychologie et armés d'un bon crible pour trouver la pathologie des bitcoineurs. Après tout, on est toujours le fou de quelqu'un...

Donc ceux qui ont un attrait pour les cryptomonnaies ou un penchant pour Bitcoin, comme ceux qui succombent à cette tentation, qu'est ce qui ne marche pas bien dans leur vilaine tête ?

M'étant procuré le texte en anglais, évidemment sans le payer et par un procédé de psychopathe machiavélique, j'en ai produit une traduction que j'offre gratuitement à mes lecteurs affectés du syndrome FoMO.

Qu'en dire à première vue ?

Je reproche suffisamment aux économistes leurs incursions en gros sabots dans le champ de la science historique (mon livre à ce sujet sort dans quelques jours, patience !) pour ne pas aller m'essayer à la psychanalyse selon la formule consacrée.

Une critique sur la forme reste cependant autorisée par ma déontologie.

46 références savantes pour un article de 4 pages, cela me semble faire trop savant pour être honnête surtout quand tous les liens en bleu sur le pdf original n'ont qu'une seule et même fonction hypertexte qui est de renvoyer à la liste de ces références et non aux articles cités et que les compléments promis ne sont finalement pas mis en ligne. De même toute la partie 2 Méthode peut facilement être sautée par le lecteur : il ne s'agit que de ré-assurance. On ne vous ment pas, voyez un peu..

Sans me livrer sadiquement aux horreurs de l'attaque ad homines, un coup d'œil sur les positions universitaires et les publications des 5 auteurs achève le tableau : tous les 5 sont professeurs dans des écoles de commerce, de management, de publicité ou de marketing, sans référence particulière donnant à suspecter la moindre compétence quant aux ressorts de l'âme humaine, au-delà d'une bonne psychologie de supermarché. Le mot consommateur apparaît d'ailleurs clairement dans les premières lignes de la partie 4 intitulée Discussion.

À noter cependant qu'ils y prennent goût : trois d'entre eux annoncent, pour le mois d'août, un nouvel article sur les effets de la régulation. Maintenant qu'ils ont réuni un panel, ils ne vont plus lâcher l'affaire !

Sur le fond, qu'est-ce que j'ai, personnellement, trouvé dans cette étude ?

Des définitions superficielles

  • On est immédiatement frappé par un apparat volontairement impressionnant de références assénées de façon aussi autoritaire et de définitions schématiques.
  • Mais inversement le corpus delicti est présenté de manière extrêmement pauvre. La cryptomonnaie se voit distinguée (de tout autre investissement) par 2 spécificités seulement : sa volatilité qui l'assimilerait à un gambling et sa décentralisation, essentiellement perçue comme un écart à la norme d'une surveillance (oversight) gouvernementale. C'est quand même très court...

Des assertions non critiquées

  •  Les cryptomonnaies sont des investissements risqués  Sans doute. Mais pourquoi ? À quel point ? Sur quelle échelle de temps ? Pour quel type d'acheteur ?
  • Les  croyances conspirationnistes  se voient caractérisées de façon fort désinvoltes :  par exemple, la méfiance à l'égard du gouvernement. Autrefois, quelqu'un qui n'aimait pas, se méfiait voire combattait son gouvernement, cela s'appelait tout bonnement un opposant. Il y avait certes des pays où on les soignait en psychiatrie, mais ces pays ne jouissaient pas d'une grande considération auprès des démocrates, fussent-ils universitaires.

Un choix d'outils non critiqué

  •  Nous examinons l'effet des traits de la tétrade noire sur l'attitude et l'intention d'achat de cryptomonnaies d'une personne. Pourquoi ne pas étudier aussi voire à la place l'effet de la bienveillance (naturelle dans tout marché de pair à pair) ou de l'envie de voyager, ou encore de la passion de la technologie ?
  • La référence au Covid, cité pour le machiavélisme comme pour la psychopathie, tient de la facilité. Il me semble que les réticences diverses d'une partie de l'opinion sur une partie des discours produits par les divers gouvernements durant la crise épidémique récente forment un matériau un peu fragile pour construire des outils d'analyse recyclables sur Bitcoin.

Un choix délibéré et forcé de mots polémiques

  • Si le bitcoineur se voit épargné en apparence l'incrimination d'être  socialement nuisible tous ceux qui connaissent la littérature sur la  tétrade noire  auront compris.
  • La définition donnée du machiavélisme (outre qu'elle n'a évidemment qu'un peu d'eau de cuisson en commun avec la pensée du Florentin) colle si mal à l'investissement en crypto que le début du point 1.1 de l'article en devient risible.
  • Le sadisme, invoqué quant au troll (qui ne distingue guère le bitcoineur moyen du twitto moyen) n'est pas retenu à charge contre le simple crypto-investisseur. Il aura pu faire ses pâques la conscience en paix.
  • Le narcissisme invoqué (pour tout investissement risqué, d'ailleurs) est tellement la marque d'une époque - le livre tragique de Christopher Lash ne date pas d'hier - qu'il pourrait aujourd'hui être réquisitionné dans l'analyse d'à peu près n'importe quel passant dans la rue. On ne contestera donc, en ce qui concerne l'intérêt pour les cryptos, ni le FoMO ni une belle couche de narcissisme. Mais so what?

So What ?

La lecture de la fort courte partie 5 Limites et recherche future et de la brève conclusion suggère que les auteurs ne se sont même pas convaincus eux-mêmes autant qu'ils ont voulu le laisser croire dans les articles ultérieurement destinés au grand public (comme celui paru dans The Conversation).

Ainsi, avouent-ils en conclusion ce par quoi ils auraient dû commencer :  les chercheurs devraient réaliser comment la méfiance envers les politiciens peut activement conduire l'intention d'achat pour les investissements non soutenus par le gouvernement pour les investisseurs machiavéliques . Quelques bonnes conversations au café du coin auraient sans doute déniaisé les esprits.

 Nous ne suggérons pas que tous les acheteurs de cryptomonnaies présentent les caractéristiques de la tétrade noire. Nous étudions plutôt un sous-ensemble de personnes intéressées par les cryptomonnaies qui présentent ces caractéristiques. Nos résultats montrent que les narcissiques aiment les cryptomonnaies qui sont fondées sur la positivité.

Au total, malgré l'apparat de notes, les détails de la méthode employée et tout le verbiage savant, cet article n'apprend rien ni sur les pervers ni sur les cryptomonnaies ; bien moins en tout cas que sur les auteurs.

Ceux-ci auraient pu, unissant leurs diverses expériences nationales, se demander si ce n'est pas le narcissisme qui conduit un Australien à vouloir la république, le machiavelisme qui conduit un Britannique au Brexit ou encore la psychopathie qui conduit un Danois à rester dans l'Union Européenne après avoir voté  non  jadis.

En France comme ailleurs, narcissiques, sadiques et pervers de tout poil votent aussi ! J'aurais bien envie d'emmerder affectueusement les chercheurs en leur demandant ce qu'ils en pensent.

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