J'avais annoncé ce billet en conclusion de celui qui traitait de la propriété et de la souveraineté, de certaines illusions politiques nées d'une soudaine prospérité, de fantasmes où la mémoire féodale offre à une classique revendication libertarienne le motif kitsch d'un fief ou d'un royaume
.
Tout autre est le Pays de Cocagne, que nous croyons tous connaître et dans lequel s'emmêlent, dans une innocence un peu enfantine, paresse et gourmandise rêvées avec la semaine des quatre jeudis ou le Palais de Dame Tartine.
En nous penchant sur ce mythe d'abondance cher à nos ancêtres, je crois que nous pouvons apprendre à mettre en questions notre propre activité pour donner forme mythologique à nos formes modernes de prospérité ou d'abondance.
Il est vraiment amusant de remarquer que le Brueghel qui peignit en 1567 le pays de Cocagne qui sert d'illustration de couverture au livre dont je vais parler est le grand-père de celui qui illustra la tulipmania après la crise de 1637.
Cocagne, histoire d'un pays imaginaire de Hilário Franco Júnior, n'est pas un livre particulièrement récent. Publié au Brésil dix ans avant le white paper de Satoshi, il a été traduit du portugais au moment où je passais devant Bitcoin sans le voir. Pourquoi en traiter aujourd'hui ?
La préface du médiéviste Jacques Le Goff (1924-2014) donne quelques raisons :
- « le thème de la Cocagne (…) est né à l’époque du grand développement de la société médiévale, du milieu du XIIe au milieu du XIIIe siècle, au moment où les réussites matérielles, sociales, politiques et culturelles aiguisèrent les appétits ».
- « Contrairement au mythe antique de l’âge d’or, réapparu au XIIIe siècle, la Cocagne n’est pas une utopie tournée vers le passé, c’est une utopie qui se libère de cette prison des sociétés et des individus qu’est le temps sous sa forme de calendrier ».
- « En ce siècle où l’on met de plus en plus le droit par écrit, lequel pèse toujours plus sur la société (droit romain renaissant, droit canonique en pleine expansion, droit coutumier mis par écrit), la Cocagne (...) est très certainement une unomie, un pays sans loi, mais cette caractéristique est contenue dans la notion d’utopie, c’est-à-dire un pays non seulement sans code, sans répression, mais aussi sans violence et sans désordre. Ne faut-il pas voir dans cela la libre floraison de lois naturelles ? »