de la souveraineté

Fil des billets - Fil des commentaires

3 févr. 2024

144 - De la Propriété et de la Souveraineté

La nature (philosophique ou juridique) de la propriété est un thème qui suscite chez certains bitcoineurs, depuis le début, des positions que l'on peut juger  absolutistes  et parfois mal informées.

Pour un oui ou pour un non, certains invoquent les mots de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen : la propriété est aux termes de son article 2 un droit naturel et imprescriptible et aux termes de l'article 17 un droit inviolable et sacré. Qu'elle ne soit pas le seul droit cité à l'article 2, ou qu'il soit ajouté immédiatement à l'article 17 que  nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité  sont des détails trop facilement oubliés dans les controverses.

Disons-le d'emblée : je marque toujours un grand étonnement quand je vois tous ces grands mots de naturel ou de sacré employés pour tout et rien et surtout pour ne pas payer d'impôts. Parce que le droit de propriété a une histoire (avant, pendant et après 89) histoire dont il est utile de retrouver les sources et qui ne tient pas tout entier en deux ou trois mots. Et parce que les plaidoiries sont loin d'être toujours cohérentes.

Le livre de Rafe Blaufarb, professeur d'histoire à l'Université d'État de Floride (ce livre est la traduction française en 2019 de la publication originale The Great Demarcation: The French Revolution and the Invention of Modern Property datant de 2016) éclaire la rupture opérée par la Révolution dans l’histoire du droit des biens. Et permet de réfléchir à ce qu'est la propriété, et à ce qu'elle n'est pas, en se plaçant encore plus en amont.

Je veux être clair avec mon lecteur : sans remonter au droit romain, sans examiner l'apport essentiel du nominalisme d'Occam (il y aurait tant à dire) je pars ici très en amont de Bitcoin (2009) et même de l'instauration de l'impôt sur le revenu (1917 en France). Ce faisant, je pense néanmoins pouvoir approfondir le sens des mots, éclairer des questions de principe, poser des questions utiles.

Lire la suite...

27 mars 2023

137 - Monnaie, effigie et « légitimité »

Parmi les arguments pré-cuits contre Bitcoin, la critique institutionnelle fournit une large gamme autour d'une idée simple : la monnaie étant une institution (sociale ou politique, tous les glissements sont permis) sa gestion revient naturellement, et finalement exclusivement, aux institutions.

Et ceci est supposé d'autant plus convaincant que ces institutions sont dites  légitimes  c'est à dire bénies jadis par Dieu et aujourd'hui par un scrutin, ce qui fait qu'on les présente comme naturellement à même de transférer à la monnaie ce caractère de légitimité réelle ou supposée.

Or nous vivons actuellement une crise qui questionne assez frontalement ladite  légitimité . Les sophismes émis presqu'au rythme de la planche à billets ne témoignent plus guère que de l'inconfort des dirigeants. Quelle conséquence cela peut-il avoir pour la monnaie ?

De Youl à Pascal Boyart, les artistes proches de la communauté Bitcoin ont, comme beaucoup d'autres, déjà réinterprété le drapeau brandi deux siècles plus tôt par la Liberté de Delacroix, lors d'un épisode insurrectionnel ayant opéré un déplacement (minime d'ailleurs) de légitimité et un changement d'effigie sur les pièces de monnaie.

La fresque de Boyart (rapidement effacée) frappait par son horizontalité. En y ajoutant des feux d'émeutes, il assumait ce que les gouvernants dénoncent toujours avec la même indignation feinte et les mêmes mots usés : l'inévitable violence des spasmes révolutionnaires.

Parlons-en, avant de revenir à Bitcoin, révolution pacifique.

Lire la suite...

25 déc. 2022

133 - L'or des rois

Avant Noël, au lieu de délirer sur le fameux repas de famille qui semble inspirer à certains une terreur franchement suspecte, j'ai parcouru avec beaucoup d'intérêt Ces Rois Mages venus d'Occident, ouvrage très érudit publié tout récemment par Mathieu Beaud et tiré de sa thèse de doctorat datant de 2012.

Son livre au titre paradoxal suit ces Mages au long d'une tradition plus que millénaire et montre comment c'est lors d'une étape de leur périple dans l'Occident chrétien que ces magiciens païens et orientaux ont reçu la couronne royale qu'ils ne portaient nullement ni dans leur pays ni dans les premiers textes.

Cet historien de l'art cherche à comprendre comment, où et pourquoi cette métamorphose s'est opérée et ce qu'elle signifie.

Il répond ainsi à l'ironique remarque de Voltaire :  On dit que c'étaient trois mages ; mais le peuple a toujours préféré trois rois. On célèbre partout la fête des rois, et nulle part celle des mages. On mange la gâteau des rois, et non pas le gâteau des mages. On crie le roi boit et non pas le mage boit..

Les bitcoineurs qui me lisent, et qu'agacent comme moi le fait de se voir en permanence renvoyés dans leurs buts à grand renforts d'arguments d'autorité aristotéliciens, devraient trouver à l'occasion d'une plongée dans les textes de la tradition biblique de rafraichissantes perspectives.

Lire la suite...

1 oct. 2019

94 - Une monnaie privée en France !

L'agenda politique sur la monnaie numérique publique, ainsi que ma récente visite du Musée créé par la Banque de France m'ont conduit à de multiples réflexions. Qu'un ministre ne veuille pas de monnaie privée sur notre sol (curieux, d'ailleurs que ce soit précisément ce mot à double sens qui affleure ici) c'est une chose. Que la chose soit impensable en est une autre.

On va parler ici d'une monnaie privée émise justement par ...un ministre, et pas n'importe lequel. Au coeur de l'appareil d'Etat, et en plein centre de la France.

Le double tournois de 1636

Lire la suite...

24 juin 2019

90 - Un rival de Mark

L'événement a pu passer inaperçu. Il est vrai que la semaine dernière le lancement de la monnaie de Facebook a bénéficié d'un exceptionnel coefficient multiplicateur, j'entends par là un ratio incroyable entre le nombre de pages de commentaires et les 12 pages du papier blanc, comme on dit. Mais tandis que nos autorités brandissaient leur sabre de bois en assurant que jamais le Mark Libre ne serait une monnaie souveraine, on se contentait d'envoyer les gendarmes contre le sieur Nicolas Mutte, coupable d'avoir imprimé, comme prince de Seborga, plus de billets qu'il n'en faudrait pour une honnête partie de Monopoly en temps de canicule, et quelques passeports qui risquent de ne jamais lui servir.

faux luigi

Lire la suite...

18 juil. 2017

64 - Terra nullius, ou terra nulla ?

pour Adrian, sur son île

un pays pour Bitcoin?Les bitcoineurs, qui s'entendent souvent objecter que le bitcoin n'étant la monnaie d'aucun État ne sera jamais que rien et moins que rien, ne peuvent d'empêcher de spéculer sur ce qu'il adviendrait si le bitcoin était adopté en bonne et due forme quelque part dans le vaste monde.

On a parlé de la Grèce, mais c'était une erreur de raisonnement, de l'île de Man, ou de celle d'Aurigny, mais si ce sont de vrais territoires, ils ne sont pas vraiment souverains et ne songent guère qu'à faciliter les opérations en bitcoin, pas davantage.

Alors si battre monnaie est un privilège souverain, et si la monnaie, comme on nous le rabâche, nécessite le bras puissant d'un Etat, pourquoi ne pas explorer, avec la possibilité d'une monnaie d'un type nouveau, celle d'un Etat construit pour l'occasion ?

Lire la suite...

1 janv. 2017

54- La monnaie de Marie-Thérèse défie toutes les règles

Bitcoin est une monnaie sans Etat, ce qui fait l'admiration des uns et clôt la discussion pour les autres, ceux qui ajoutent aux fonctions de la monnaie une essence politique qui ne saurait être que nationale, la nature supra-nationale de l'euro ne permettant même pas de rouvrir le champ des possibles. Sans essence régalienne et sans régulation politique Bitcoin ne sera jamais, disent-ils, et quelque soit son succès, qu'un actif spéculatif couplé à un processeur de paiement, pas une monnaie dans toute la majesté de la chose.

effigie r1780L'étrange destin international, et même méta-national, d'une grosse pièce d'argent, bien que portant l'effigie et le nom d'une grande souveraine, nous offre l'occasion de bousculer bien des dogmes régaliens qui encombrent encore les analyses.

Ce thaler aurait pourtant pu n'être que l'une des centaines de pièces frappées en Europe à partir du moment où d'énormes quantités d'argent furent extraites des mines de Bohême. Avant d'aborder son destin incroyable, il faut dire un mot du thaler et de Marie-Thérèse.

Lire la suite...

12 mai 2016

46 - La Banque a les jetons

Une version abrégée et sans illustration de cet article a été publiée sur le Cercle des Echos pour présenter mon idée d'une nouvelle économie du token.

Le mot token a fait son apparition, assez timidement, dans la cryptosphère. Au vrai, pas plus que le mot blockchain il n'apparaît nulle part dans l'article fondateur de Satoshi Nakamoto en 2008. Mais lui, il a des racines historiques anciennes.

Une page wikipedia token présente de ce mot plusieurs acceptions données à tort comme des homonymes, dont quatre significations liées à l'informatique, sans allusion aux actifs cryptomonétaires, et une référence renvoyant à la page consacrée aux tokens britanniques décrits comme des jetons de paiement illégaux du 17ème au 19ème siècle.

Une fausse monnaie pour le bien commun ?

Sur la page wikipédia consacrée au token britannique cette notion d'illégalité réapparaît, mais pas de façon aussi brutale, et on trouve un exposé historique très complet des différentes phases d'émission de ces petites monnaies privées tolérées par le pouvoir et largement utilisées dans le commerce pour de nombreuses raisons tant et si bien que l'on voit un tisserand (John Fincham à Haverhill dans le Suffolk) apposer sur son demi-penny la fière mention pro bono publico.

HAVERHILL MANUFACTORY  1794

En partant des tokens du passé, je vais tenter d'explorer ce qui pourrait être imaginé aujourd'hui pro bono publico .

Lire la suite...

5 mars 2015

14 - Gainsbarre se goure

Je ne vais pas parler ici du bitcoin sinon en filigrane. Poursuivant mon décapage des poncifs repris en boucle contre cette nouvelle monnaie, j'ai abordé (dans le billet 13) sa prétendue absence de réalité financière. Je crois avoir montré qu'elle résidait dans son utilité peut-être plus proche de celle d'un timbre que de celle d'un billet.

Autre grief plus basique encore, son absence de réalité tangible est souvent avancée, critique qui s’accompagne généralement du geste élégant par lequel le pouce avant droit du primate financier effleure rapidement la pulpe de son index. Et comme, effectivement, le bitcoin n'est guère tangible, il m'est venu à l'esprit de me demander si le cash l'était davantage. Qu'est-ce qu'on palpe avec le cash, et qui manquerait au bitcoin?

A l’heure où les Etats les plus solides émettent des emprunts à taux négatifs tandis que l’Union Européenne, entre pillage et rançon, organise et légalise des ponctions directes sur les comptes en banque (lire l'utile avertissement de Philippe Herlin dans les liens en bas de ce billet), il ne serait pas illogique de conserver son pécule en billets de banque. Et c’est bien ce que font un grand nombre de particulier, d’autant que leur détention comme leur dépense bénéficient d’une appréciable discrétion.

Quelle est la vraie nature de ce billet de banque, qui au bout de 4 à 5 générations (pas davantage, en fait) a plus ou moins remplacé l’or dans les représentations spontanées de la richesse financière ? Peut-être la découvre-t-on, comme celle du diamant (billet 12), en le brûlant ?

gainsbourg

Lire la suite...