116 - Une pièce de 21
Par Jacques Favier le 5 déc. 2021, 08:59 - des autres monnaies - Lien permanent
Le nombre 21 (généralement suivi de millions) joue un rôle essentiel, tant concrètement que symboliquement, pour la meute sectaire et insultante
qui agace les gentils universitaires et les utiles haut-fonctionnaires avec lesquels certains d'entre nous s'aventurent à polémiquer en pure perte de temps.
Pourquoi 21 ? Vieille question qui marque au fer rouge le prétendu expert débarquant sur un plateau télévisé avec sa supposée candeur. Passons.
Est-ce qu'il a existé une pièce de 21 quoi que ce soit ? Voilà en revanche une question vraiment utile à débattre durant un week-end pluvieux à l'heure du thé fumant et des livres fermés
.
Parce qu'en apparence, depuis la restauration d'un semblant de finance par Bonaparte et jusqu'à l'effondrement des monnaies au 20ème siècle, la plupart des pays civilisés c'est à dire, let's be serious, francophones ont battu en or des pièces de 20 francs, pas de 21.
Le chiffre 20 a d'ailleurs une antiquité respectable en matière monétaire. Il y avait 20 sous dans un franc, comme il y avait 20 solidus dans une livre depuis Charlemagne et comme il y eut 20 shillings dans une livre sterling.
Après leur courte expérience républicaine, les Anglais battirent entre 1663 et 1814 une pièce d'or qui contenait environ un quart d'once d'or, et à laquelle on donna de Guinée, terme qui désignait toute la côte méridionale de l'Afrique occidentale d'où provenait une grande partie de l'or utilisé pour fabriquer ces pièces. À l'origine la guinée valait une livre sterling (soit 20 shillings d'argent) mais la hausse du prix de l'or par rapport à celui de l'argent finit par entraîner une augmentation de la guinée, qui a parfois atteint 30 shillings.
Alors, de 1717 à 1816, la valeur de la guinée fut officiellement fixée chez nos amis anglais, qui peuvent parfois se singulariser comme par plaisir, à 21 shillings. On trouve des poids monétaires en laiton qui pouvaient servir à réglementer la parité entre banquiers, changeurs et commerçants, ainsi qu'à valider aisément sur une balance, que l'argent sur le plateau valait bien une de ces fameuses guinées !
Mais fixer la parité entre deux métaux est une folie de régulateur, un fantasme régalien. La guinée était cependant devenue un terme familier ou spécialisé, et l'est restée longtemps même sans pièce tangible. Bien que la pièce de ce nom ne circule plus depuis le 19ème siècle, le terme guinée
a survécu jusqu'au 20ème siècle comme unité de compte dans certains domaines, au cours de 21 shillings. Parmi les usages notables, les honoraires professionnels (médicaux, juridiques, etc.) étaient souvent facturés en guinées, ainsi que les paris aux courses de chevaux et de lévriers, ou la vente de béliers.
Tant et si bien que la livre égyptienne s'appelle toujours officiellement pound en anglais et guineh en arabe, établissant si l'on peut dire l'équivalence 20=21, digne des mystères dont l'histoire de ce pays était déjà si riche.
Il y a tout de même eu un exemple de pièce avec une valeur faciale de 21 unités monétaires
Elle fut émise par des autorités légales, légitimes, régaliennes et tout ce qu'on voudra. Et bien sûr ça s'est passé chez mes amis neuchâtelois, où fut bel et bien frappée une pièce de 21... batzen.
Le batz était à l'origine, au 15ème siècle, la monnaie de Berne. La pièce montrait alors sur son avers un ours qui est l'emblème de la ville et tirait même son nom, comme la ville qui l'avait créée, de l'ancien haut-allemand Bätz qui signifiait Ours. Le Batz se divisait en 4 Kreutzer, chose commune à toutes les villes où l'on battit ensuite des batzen. Mais hélas, d'une ville à l'autre, la valeur du batzen local variait sensiblement de Berne à Fribourg, Lausanne et autres villes à atelier monétaire.
Arrivent les Français (en 1798, donc avant Bonaparte, soit dit en passant : il n'a pas tous les torts et toute cette affaire est bien complexe) : le batz devient la valeur d'un dixième de la livre suisse
, nouvelle monnaie officielle que l'on va bientôt appeler franc
même si en attendant Germinal, il n'a pas exactement la même valeur que de l'autre côté de la montagne. Il faut harmoniser : 21 batzen de Fribourg sont comptés pour 20 batzen suisses.
Et Neuchâtel dans tout cela ? Depuis 1709, la principauté qui était jadis à la famille de Fribourg, puis aux Orléans-Longueville, s'est choisie comme souverain le roi de Prusse, parce qu'il est loin, qu'il est protestant et qu'il semble pouvoir la protéger des appétits français. La principauté use à l'occasion de son indépendance pour fabriquer un peu de fausse monnaie (française) mais elle a sa propre monnaie, à l'effigie du roi de Prusse. Son batz, comme celui de Fribourg, est un peu plus faible que celui dit suisse. Un bon moyen de rester fidèle à sa vieille unité de compte tout en commerçant avec les Suisses est donc... d'émettre des pièces de 21 batzen, qui seront comptées pour 20 ailleurs.
Comme l'indique la légende : Suum cuique, à chacun le sien !
La légende en latin abrégé se lit Frédéric-Guillaume III roi de Prusse Prince Souverain de Neuchâtel et Valangin
La ville de Genève avait procédé de même, avec sa pièce de 21 sous, valeur d'usage depuis 1710 (quoique non inscrite comme valeur faciale) émise de la même façon pour faciliter les échanges avec la Savoie ou la Suisse.
À son retrait lors de la loi monétaire de 1850 la pièce de 21 batzen qui avait circulé depuis Frédéric III, puis Alexandre Berthier, puis sous régime prussien et cantonal après 1814, valait 2fr75, et non 2fr10, ce qui laisse penser qu'elle s'était appréciée le temps passant.
Notons le pragmatisme de la démarche : les politiciens français qui voudraient revenir au franc
n'ont à ma connaissance jamais songé à battre des pièces de 6, 55957 francs français, alors même que la Monnaie de Paris l'avait fait, non seulement pour des médailles (au dessus), mais pour diverses émissions en argent, numismatiques, donc parfaitement légales, légitimes, régaliennes etc !
Donc, pour finir sur une note crypto (que l'on n'aille pas me reprocher de perdre la foi et de faire perdre leur temps à mes rares lecteurs) : pourquoi ne pas émettre un stablecoin en franc ? Il me semble qu'il faudrait réunir un groupe de travail, mener des expérimentations, écrire des rapports et naturellement trouver un algorithme de consensus fondé sur l'utilité sociale et le respect de tout ce qui peut venir à l'esprit. Mais la Banque de France a déjà une vieille expérience du minage !