150 - Bitcoinica
Par Jacques Favier le 4 mars 2025, 18:30 - Comptes Rendus de lecture - Lien permanent
Ali Mitchell sait écrire, même s'il le fait trop rarement.
Avec Bitcoinica il nous livre un petit dictionnaire baba du Bticoin que j'ai trouvé assez envoûtant, on va vite comprendre pourquoi. Tournant le « ₿ » à 90 degrés comme une paire de lunettes, il le colle non devant le soleil royal comme l'avait fait mon ami Adli jadis pour doter la conférence Bitcoin pluribus impar d'un hiéroglyphe approprié, mais devant la tête d'un éléphant. Logique, puisqu'un éléphant ça trompe énormément.
Cet éléphant, baba sans en avoir l'R, n'a que la tête de l'emploi, car juché sur le corps d'un acéphale et chaîne fraîchement brisée en main, prêt à en débattre, il vient en fait libérer le lecteur et l'enchanter.
De quoi s'agit-il, en effet, dans ce court dictionnaire (26 lettres dans notre alphabet, 26 entrées, y compris l'énigmatique Ki ou l'amusant Qu'en-dira-t-on) qui rappelle avec Satoshi lui-même que
décrire cette chose pour le grand public est sacrément difficile
? Bien sûr ce n'est pas un manuel technique, et il ne fait pas davantage miroiter la moindre martingale d'enrichissement.
Mais il offre beaucoup de bons mots et quelques explications décapantes, en se jouant habilement de l'ordre alphabétique : Argent puis Bitcoinie puis Cryptographie sont ainsi opportunément placés en tête.
Et au-delà, il s'agit aussi d'une chose autour de laquelle nous étions déjà quelques-uns – pas assez – à tourner : la beauté de Bitcoin, pour ceux qui, ayant longtemps tâché de comprendre la réalité de l'éléphant en le touchant de leurs cannes blanches, ont enfin atteint l'étape où posséder devient connaître
et où l'on a mieux à faire que débattre : jouir.
L'ouvrage s'ouvre par une citation de Bergson mise en exergue :
Partout où quelque chose vit, il y a , ouvert quelque part, un registre où le temps s'inscrit
. Elle manquait à notre carquois, cette flèche-là.
Vient ensuite de quoi exciter : une extraordinaire série de métaphores, passant de la mythologie bitcoin (le terrier) à la mythologie classique (j'ai beaucoup aimé le navire de Thésée maintenu par des codeurs
), revenant par le droit féodal (où Bitcoin serait un bien allodial) et ne refusant pas la route de la soie.
J'avoue que je suis resté perplexe devant la phrase Tout est vrai, et en même temps il pourrait s'agir de bien autre chose
. Le rusé Ali Mitchell n'avait pourtant pas (encore) en main lorsqu'il écrivait cette accroche narquoise ma propre uchronie. Il est vrai qu'il y a un article Utopie...
Ali Mitchell partage mon goût des citations bibliques. Amassez-svous des trésors dans le ciel
, c'est quelque chose que j'avais tôt trouvé chez le prophète de Guernesey et qu'il a retrouvé sur le bloc 666.666. J'ai souri de entrées Halal ou Immaculée Conception ; j'ai trouvé très pertinent l'article Jésus.
On voit passer bien du monde dans ce petit livre, Bitcoineurs connus ou improbables dont Emmanuel Kant mais aussi Baruch Spinoza lequel orne aussi, la couverture de la récente publication de Pierre Ginet Bitcoin, l'Évangile de la liberté avec des yeux laser, lesquels ont aussi leur article pour rappeler qu'il ne s'agit pas d'attendre béatement le million, comme dans certains jeux télévisés, mais de mettre en oeuvre un aptitude critique à séparer le signal du bruit.
Ali Mitchell fait ici énoncer au philosophe d'Amsterdam (il a hélas attribué la lettre T à Temps et non à Tulipe) la grande question de savoir ce qui pourrait déclencher en l'homme le désir de résister à ce qu'il y a d'illégitime dans l'autorité-machine, en étant lui-même le protecteur de sa liberté.
L'ouvrage s'achève par un épilogue plus politique, une utile liste des jours de fête des Bitcoineurs et une courte bibliographie qui me fait l'honneur de citer l'Acéphale comme la Voie du Bitcoin.