32 - Brel avec les loups
Par Jacques Favier le 27 nov. 2015, 22:51 - Lien permanent
J'avais des sujets plus légers à traiter; ils attendront. Puisque les autorités incriminent bitcoin et cryptographie au sujet des attentats, je m'autorise à parler ici de leur cérémonie de ce jour.
MM. Hollande et Sarkozy, une fois de plus réunis pour un nouveau numéro de duettistes, et dans un espace militaire, on a vite compris le message. L'union sacrée face à la guerre.
Mais était-ce cela qu'attendait cette "génération Bataclan" qui a payé un lourd tribut à une situation dont elle est moins responsable que ces dirigeants ?
J'ai passé ma matinée en voiture, revenant de province. Lorsqu'on écoutait la radio, la France était pavoisée de tricolore, et son coeur blessé battait aux Invalides.
Pourtant nul drapeau en province et très peu en banlieue. Cet après-midi j'étais à Paris. Dans les quartiers centraux et dans le quartier latin, à vue de nez il y a un drapeau pour cent fenêtres, ce qui à Paris veut dire 2 à 3% d'adhésion.
Mais le gouvernement n'avait pas distribué de drapeaux. La radio jasait sur les fabricants débordés. En fait seuls les supporters ont sorti leurs vieux drapeaux (sales) et quelques patriotes ont fait ce que firent leurs grands parents en août 44 : ils ont bricolé.
De Mulhouse j'ai reçu cette photo que je trouve savoureuse :
Pendant ce temps-là, aux Invalides, on a fait chanter du Brel. Pourquoi pas ? Mais je savais d'avance que l'on hésiterait pas devant la faute de goût, et malheureusement j'ai gagné...
Quand on a que l'amour,
Pour parler aux canons
Et rien qu'une chanson
Pour convaincre un tambour
Quelle obscénité ! Les canons ils les ont, ils en vendent, ils les manient. Ils en ont vendu à Saddam Hussein et à Qadhafi, sans plus de façon qu'ils n'en mettaient à en vendre à Moubarak et Ben Ali. Ils ont armé les "rebelles syriens" sans aucun discernement. Il n'y a pas trois mois on se félicitait encore des 6 milliards d'euros d'armes vendues à l'Egypte et payées par qui vous savez. Depuis une semaine on ne parle que de cela, la guerre. Et pas avec des chansons: avec des armes, des alliés (douteux), des lois (douteuses), des mots sales et faussés. Deux familles ont refusé cet "hommage".
Puisque la cérémonie se déroulait aux Invalides, un mot me revint, prononcé au sujet d'une autre cérémonie qui s'y déroula en 1840, devant le gros Louis-Philippe : le retour des cendres de l'empereur Napoléon. Le mort entouré de quelques vieillards rescapés de sa légende était plus grand que les petits vivants, les bons vivants, les survivants. Tout paraissait trop petit, faux et mensonger. Le "roi-citoyen" d'alors, comme le "président normal" d'aujourd'hui, oublieux du peuple et ami de la bourgeoisie d'affaires, affichait le même cynisme d'opportuniste derrière un petit sourire méprisant en coin.
Le prince de Joinville (fils cadet du roi) eut alors ce mot magnifique : dans cette affaire tout ce qui vient du peuple est grand, tout ce qui vient du gouvernement est ridicule. Il y avait un million et demi de personnes sur les Champs Elysées.
Aujourd'hui, le peuple n'a pas pu être grand, parce qu'il était interdit. Pas de manifestation. On ne sait si c'est parce que c'est dangereux en période d'attentats ou impensable en temps de guerre. Mais quand on sait que des militants écologistes soupçonnés de gâcher la fête sont assignés à résidence avec trois contrôles quotidiens on pressent que l'état d'urgence va offrir aux dirigeants un confort tel qu'il risque de durer longtemps.
On gouverne déjà sans le peuple, on peut bien faire des cérémonies sans lui. Il n'a qu'à mettre ses chemises aux fenêtres, puisqu'il n'a pas de drapeau, et à se tasser un peu plus lundi dans le métro qui sera gratuit mais pas plus large, parce qu'on aura besoin de plus d'espace encore pour les chefs. Il n'a qu'à pas venir bosser, on compensera en lui supprimant le jeudi de l'Ascension comme on lui a sucré le lundi de Pentecôte. Le peuple sera invité à un petit geste citoyen : fermer sa gueule.
Un dernier mot, pour en finir avec la métaphore louis-philipparde : ce roi né des promesses non tenues de 1830 est passé à la trappe en 1848 pour avoir porté atteinte à la liberté de se réunir.
Mon fils, qui appartient à la génération Bataclan, et qui est sorti ce soir (ce qui me tord le ventre) m'a dit sobrement qu'au milieu de toutes ''les phrases déjà faites qui suivront l'enterrement'' ils auraient pu choisir de faire chanter La colombe.
Bien sûr.
Moi, j'ai songé à la célèbre fenêtre de la cour des Invalides, moins pour les controverses sur sa signification (évoque-t-elle discrètement le célèbre Louvois, secrétaire d'Etat à la Guerre sous Louis XIV?) que pour le rébus manifeste : loup voit.
Aujourd'hui, le Grand Jacques, dans le ciel, chantait contre les loups...
Commentaires
Tu vas aller signer au commissariat du coin 3 fois par jour si tu continues à dire autant de vérités !
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Tu sais Mathieu, je suis né quand les socialistes avaient envoyé le contingent en Algérie, que "Monsieur le Président" de Vian (le Déserteur) était interdite à la radiodiffusion et que l'Etat français couvrait la torture. On en est là dans quelques semaines au rythme actuel. JF