12 - Le diamant, l'art des choses idéales
Par Jacques Favier le 2 janv. 2015, 09:57 - de la nature matérielle de Bitcoin - Lien permanent
Le premier trésor que j’ai vu miner n'était ni d’or ni de monnaies crypto : c’était celui des sept nains, qui trouvaient miraculeusement des gemmes déjà taillées.
Trouvaille géniale de Walt Disney ! Car les nains des Grimm ne minaient que fer et or, et il est bien possible que les « « vrais nains », qu’ils aient vécu à Osterwald dans le massif des sept-monts (Basse Saxe) ou dans le petit village de Langenbach im Taunus, dans le centre de la Hesse, n’aient jamais miné que du charbon pour le porter à des vitreries.
Mais les nains de Disney sont tous simplets. Ils ne savent même pas la valeur de la chose : We dig up diamonds by the score / A thousand rubies, sometimes more / But we don't know what we dig 'em for.
S’ils sont dans l’ignorance, c'est selon Bruno Bettelheim parce qu'ils sont incapables d'atteindre une virilité adulte, (ils) sont définitivement fixés à un niveau pré-œdipien. J'y reviendrai... Mais pour moi, c’est de la faute de Prof. Car celui-ci ne leur a pas enseigné la vérité : le diamant brut c’est du charbon dans un miracle géologique. Mais l'étincelant diamant taillé c'est le miraculeux résultat d'un travail mathématique !
Je voudrais explorer ici ce que cette gemme mathématique peut nous apprendre aujourd’hui.
Dans l'antiquité, ce qui lui donnait l’essentiel de son prix et la première vertu du diamant venait de son indestructibilité.
Or on se trompait. On a même compris sa vraie nature justement en faisant des expériences sur sa destruction. C’est un chimiste anglais, Robert Boyle (1627-1691) qui découvrit ce scandale : le précieux caillou, à très haute température disparaissait sans laisser de trace. Vers 1760, l’empereur François de Lorraine donna une fortune en diamants et rubis pour mener à bien des expériences. Le rubis résistait, la diamant point. Ce n’est en 1797 qu’un autre chimiste anglais, Smithson Tennant, trouva le fin mot de l’affaire. A vrai dire, le grand Newton s'en était douté, comme le rappelaient Mentelle et Malte-Brun dans les §231 et 232 de leur Géographie Mathématique publiée au début du 19 ème siècle. Le diamant n’est pas (tout à fait) éternel, et sa nature est vile !
Du moins le croyait-on encore rare Et il l'était, et les gros plus encore que les petits. Les souverains de jadis, notamment en Inde, ne les taillaient donc guère, se contentant de les polir. Or la vraie nature du diamant ne se révèle, dans tous son éclat, que par la taille.
De quand date la taille ? Du tournant du 15ème siècle seulement. Il n’y a pas de diamants taillés dans l’inventaire des bijoux du roi Charles V, en 1380, mais en 1413, dans celui de son frère, le fastueux duc de Berry s'il y a encore de nombreux diamants pointus non faits (ligne 1, en français) on trouve aussi des diamants réputés faits c'est à dire taillés…
C’est sans doute en Italie que la taille s'est développée. Pourquoi ? Parce que c’est dans ce pays que les tailleurs sont allés chercher des idées de formes optimales chez Pythagore ou chez Euclide, qui fournit la solution de problèmes mathématiquement complexes comme certaines déterminations d’angles.
A la fin du même 15 ème siècle, c’est aussi en Italie que le franciscain Luca Pacioli (1445-1517) le "moine ivre de beauté" s’illustre en rédigeant à la fois les principes de la comptabilité en partie double et... des ouvrages remarquables de géométrie comme l'édition des principes d'Euclide, la Summa de Arithmetica ou le De divina proportione (qu’illustre son ami Léonard de Vinci). Luca Pacioli détaille des dizaines de type de polyèdres qui sont à la base du travail de la joaillerie moderne.
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On retrouve une fois encore l'idéalisme pythagoricien et platonisant, via l'Italie de Léonard, dans nos investigations...
Ainsi, 500 ans avant le bitcoin, le diamant tirait-t-il déjà le fondement principal de sa valeur d’un travail mathématique et non seulement de ses caractères rare, indestructible ou infalsifiable qui répondent si bien en apparence (comme dans le cas de l’or) aux vertus nécessaires pour conserver la valeur dans le temps.
Il est un peu dommage que les premiers bitcoiners, tels des petits nains, n'aient perçu leur travail que comme minage et non comme taille, polissage. Sans doute la métaphore triviale de l'or (omniprésente dans l'univers Bitcoin, mais aussi plus généralement dans l'inconscient californien de la Silicon Valley) a-t-elle conduit à cette simplification. Ou bien alors, il faut en revenir à Bettelheim : un petit blocage pré-œdipien quelque part ? Avec ce satané Satoshi, un père absent, comment s'en étonner?
Revenons au diamant : est-il si rare ?
Certes, il faut concasser plus de 100 tonnes de kimberlite pour en tirer quelques carats et depuis la plus haute antiquité on a produit quelques 500 tonnes de diamants… Mais un millénaire de l’antique production indienne évoquée dans son Livre des Merveilles par Marco Polo représente une année de production actuelle, grâce aux mines de l’Afrique, dont – faut-il le rappeler ? – la première découverte se fit un bel après-midi d’été par les enfants d’un fermier Boer trop pauvre pour leur acheter des billes : ils avaient joué avec le premier diamant africain, qui pesait plus de 20 carats : taillé il n’en pèsera plus que 10 et sera baptisé Eurêka. Ce n'était ni la première ni la dernière fois qu'un jeu se trouvait à l'origine d'un business ! Du fait de l’abondance, les prix s’effondrèrent. Pas pour toujours...
Le diamant est-il infalsifiable ? inimitable ?
Evidemment le diamant eut ses faussaires : que tant de valeur ne soit en fait que du carbone mit le feu aux cervelles de quelques savants fous, non sans risque car l’expérience implique très hautes températures et très hautes pressions. Il y eut aussi des escrocs... et des prestidigitateurs : un ingénieur électricien, Lemoine, voulait faire effondrer les cours de la De Beers pour racheter ses titres à vil prix. Il fit donc apparaître des diamants comme jadis Cagliostro faisait de l'or, avec du vrai. Et ceci dans une "usine" plus proche de la chaumière des nains que de l'univers de Jules Verne.
L'opinion trouva l'affaire amusante ; Marcel Proust, qui avait eu peur pour ses actions De Beers, fut finalement séduit par le côté balzacien de la chose et y consacra quelques amusants pastiches. On ne jurerait pas que semblable mystification ne puisse pas arriver un jour autour du bitcoin : combien de fois a-t-on déjà annoncé telle ou telle faille? tel ou tel "coup"? Lemoine, lui, ne fut condamné à six ans de prison que pour extorsion de fonds, et non pour escroquerie, car il avait simplement affirmé qu'il était théoriquement possible de fabriquer du diamant.
D'ailleurs, plus tard, avec des moyens industriels colossaux la General Electric y parviendra. Mais, comme le rubis industriel, comme aussi les isotopes artificiels de l’or, ces ersatz trop onéreux et jamais parfaits ne sont guère vendables ou économiquement viables.
La bijouterie supporte mieux la fantaisie que la tromperie : topazes, zircons, même le quartz et le cristal de roche furent longtemps en grande faveur. Puis l’industrie, après le strass, développa aussi son lot de solutions de remplacement, corindon, spinelle, puis le rutile synthétique après la dernière guerre et enfin la moissanite.
On retrouvera sans doute ce genre de relation entre le bitcoin et les innombrables fantaisies mises chaque jour sur le marché. Seul le diamant est une valeur. Sans être doté d'un statut quasi-monétaire (il est astreint partout à la TVA), sans avoir toutes les qualités de la monnaie (sa division lui fait perdre sa valeur de façon exponentielle) il a tout de même une courbe de valeur dans le temps (on retrouvera cela dans l'utile Global Diamond Report établi par Bain & Company) très appréciable et solide.
Il reste aussi que le marché, et le prix du diamant, tiennent largement par l’explosion de la demande mondiale et … l’universalisation du rite de la bague de fiançailles dans les classes moyennes. Voici un enseignement que je ne me lasse pas de répéter : le bitcoin doit sortir de chez les geeks, et – d’une façon ou d’une autre – devenir glamour !
La métaphore du laborieux minage est à cet égard peut-être moins suggestive que celle du travail mathématique qui révèle la pureté et l'éclat du diamant... Du bitcoin, dont Grincheux rappelle toujours d'un air mauvais le "poids carbone", je dirais volontiers que c'est un diamant puisque, comme le chantait Vigny "le diamant, c'est l'art des choses idéales".
Commentaires
J'apprécie beaucoup cet article (et votre blog en général).
Vous avez un talent certain pour décrire les multiples facettes du Bitcoin (et aussi un certain talent pour lever le coude, comme je l'ai constaté au meetup il y a 2 jours!!...).
Ce genre d'article change réellement des articles habituels qu'on peut lire sur le Bitcoin :
-les articles de journaux d'actualité génerale (où le journaliste ne sait pas de quoi il parle et n'a pas testé lui-meme le Bitcoin dans 95% des cas...) qui rabâchent toujours la meme histoire concernant Satoshi, la création du Bitcoin et sa chute (MtGox...).
-les articles de journaux spécialisés dans les crypto-monnaies qui s'obstinent à essayer de prédire le cours du Bitcoin avec des prédictions allant de 10$ à 10.000$...
-les articles qui tentent de démonter que le Bitcoin est une monnaie (ou pas) et qui expliquent tout au long de pages mortellement ennuyeuses l'histoire de la monnaie depuis les hommes préhistoriques (les coquillages...) jusqu'à l'époque moderne...
Bon alors, mon avis sur la "valeur Bitcoin" : Le Bitcoin n'est comparable à RIEN d'autres : ça n'est ni du "cash sur Internet", ni des diamants, ni comparable à des "rognures d'ongles" (si, si, je l'ai lu plusieurs fois), ni un système de Ponzi, ni comparable à l'or et au diamant... c'est totalement inédit et nouveau... et je pense qu'il faudra inventer de nouvelles manières de promouvoir le Bitcoin, certainement en insistant beaucoup plus sur le protocole Bitcoin que sur le coté bêtement mercantile et spéculatif du Bitcoin...
Et vous avez bien raison : Le Bitcoin, actuellement, est bien peu sexy (plusieurs personnes sur des forums US l'ont qualifié de "ugly face") car pas abordable par des néophytes et gangréné par les manipulations boursières et la spéculation ... c'est seulement en "grattant la surface", en expérimentant, en partageant ses connaissances avec la communauté des bitcoiners que l'on se rencontre de son potentiel et de ses possibilités presque infinies (multi-signatures, sidechains...).
Je suis frappé par le peu de représentations du Bitcoin dans le domaine artistique : pas de tableaux, pas de musique, pas de "roman du Bitcoin" ... j'espère que celà changera dans l'avenir car ce sont de formidables moyens d'ancrer le Bitcoin dans l'imaginaire du grand public (et d'ailleurs je pense tenter tout à fait modestement d'écrire une nouvelle de science-fiction centré sur le Bitcoin...).
De plus je pense que le Bitcoin est aussi "multi-forme" et échappe pour celà à une simplification ou à une classification aisée : pour un spéculateur, il sera un outil spéculatif; pour un mineur, il sera une ressource et une méthode pour rentabilier son matériel informatique; pour un commerçant qui accepte le Bitcoin, il sera un moyen d'augmenter son chiffre d'affaires; pour un "bitcoin enthusiast" qui veut dépenser ses bitcoins, il sera un moyen de payement... etc...
En fait, tout reste à faire... meme les commerçants qui font l'effort d'accepter le Bitcoin ne comprennent pas son potentiel et les enjeux ...
La principale difficulté étant que la plupart des commerçants qui acceptent le Bitcoin (et ils ne sont pas si nombreux en France) n'ont pas réellement de stratégie par rapport au Bitcoin.... personne ne leur a expliqué le potentiel et les perspectives... les commerçants qui acceptent le Bitcoin devraient (dans l'idéal) être les principaux vecteurs de propagation du Bitcoin et expliquer aux autres commerçants tout le bénéfice d'accepter le Bitcoin. Ces commerçants méritants devraient aussi expliquer aux clients qui payent en Euros tout le bénéfice d'essayer le Bitcoin...
En fait, je pense que le maitre mot concernant le Bitcoin, c'est le mot essayer (pas investir ni spéculer)... il est assez évident que au moins 95% des personnes qui critiquent le Bitcoin n'ont jamais essayé... alors que les personnes qui essayent, qui font l'effort de comprendre le protocole Bitcoin, qui testent les logiciels, qui comprennent ce qu'est la cryptographie à clé asymétrique (et PGP), qui examine le potentiel extraordianaire et la Blockchain tomberont sous le charme du Bitcoin...
Malheureusement, pour cela, la communauté des Bitcoiners aura du mal à compter sur nos élites, sur des personnes médiatiques .... toutes ces personnes qui pourraient promouvoir le Bitcoin à l'échelle nationale ne savent pas ce qu'est un protocole informatique et ne vont pas s'abaisser à dépenser quelques heures de leur précieux temps pour essayer de se familiariser avec le Bitcoin...
Bon, voilà, continuez à nous dispenser des articles très bien documentés et très bien écrits... et au plasir de vous rencontrer au prochain meetup...
Crypto Knight
Merci cher ami de tant de compliments. Sauf sur le meet-up: j'étais d'une étonnante sobriété!
JF