45 - Une perle, chez Escher
Par Jacques Favier le 27 avr. 2016, 09:48 - de la nature philosophique de Bitcoin - Lien permanent
Bien souvent, le bitcoin est implicitement ou explicitement comparé à une forme d'or numérique. J'avais déjà évoqué ce que nous apporte une comparaison avec le diamant, qu'il faut tailler à l'aide des mathématiques pour en extraire la valeur.
Il m'est venu soudain à l'esprit (je vais dire comment) une autre comparaison avec ce trésor très particulier qu'est la perle, une autre merveille d'agencement puisque sa nature chimique est, comme celle du diamant, extrêmement commune. Et l'agencement n'est-il pas le vrai miracle de Satoshi ?
Or donc, j'étais durant quelques jours sur la côte normande, séjour propice aux plateaux de fruits de mer. Cette circonstance toute contingente est sans aucun rapport avec ce qui suit, quelque soit l'apport constant que ma vie quotidienne offre à ma réflexion sur le bitcoin ! Et ce qui suit n'a du reste que partiellement rapport aux perles !
En vérité, j'étais en train de lire un ouvrage déjà ancien : le jadis célèbre Gödel, Escher, Bach de Douglas Hofstadter. Moins pour y trouver matière à réflexion sur sa guirlande éternelle, que parce que je voulais approfondir le rapport du sujet et du fond.
Depuis un petit moment je tente en effet de lister les erreurs de ceux qui veulent oublier bitcoin et ne se servir que de la technologie blockchain.
- L'une consiste à penser que le fonctionnement et la sécurité de la blockchain puisse être assurés sans coût, sans dépense, sans dommage. C'est au fond une position un peu idéaliste consistant à aimer la voiture qui vous emmène vers la mer mais à détester l'essence qui pollue l'air que l'on y respire.
- Une autre consiste à oublier la primauté de la fonction de transfert, pour s'imaginer la blockchain comme une main courante infalsifiable et éternelle (prête à accueillir toutes les informations de notre civilisation) et non comme un livre enregistrant des mouvements.
- Une autre encore, moins grossière cependant, consiste à penser que l'on pourrait faire circuler sur une blockchain autre chose que son unité de compte intrinsèque. Certes on peut colorer des fractions de celle-ci (c'est une piste de réflexion féconde) mais à partir d'un certain moment il faut bien admettre que ne circulent en réalité que des représentations d'une chose (euro, obligation, action) greffées sur... quoi ? un token ! Comme l'a dit en public mon ami Adrian Sauzade, l'euro n'est pas une smart money...
- Et soudain j'ai commencé à me demander si une quatrième erreur ne consistait pas ici dans une mauvais apréciation de ce qui est le sujet et de ce qui est le fond.
On pourrait dire qu'il faut oublier la Joconde ou la Vierge aux rochers parce que ce que Vinci a inventé, ce sont des technologies de composition chimique des coloris, la technologie du sfumato, une technologie de perspectives (etc!) qui ont, après lui, été mises en oeuvre par d'autres. Ce serait là simple faute de goût. On peut aussi n'étudier chez Vinci que les paysages dans le fond des tableaux, c'est un axe de recherche érudite. La conclusion en est le plus souvent que par divers procédés, en contextualisant le portrait avec le paysage, Vinci crée un véritable récit pictural.
Je m'interrogeais cependant sur ces tableaux où la dichotomie du sujet et du fond est difficile à mettre en oeuvre, ce qui est le cas notoirement dans plusieurs oeuvres de Maurits Cornelis Escher (1898-1972).
Dans quelle mesure pourrait-on dire que la distinction d'un bitcoin qui serait le sujet et d'une blockchain qui serait le fond serait opérante ou non? Je n'en sais rien.
Mais j'ai l'intuition que plusieurs tableaux d'Escher donnent des réponses métaphoriques à ma question. A commencer évidement par l'un des plus célèbres, qui a déjà été détourné pour illustrer l'apparition d'une transhumanité ou... au profit du bitcoin.
Il y a aussi, chez Escher, une tension entre certains tableaux (je songe à Figure 1975) où aucune distinction n'est possible, et d'autres où le sujet qui se coule d'un côté dans le fond en ressort ailleurs, de nouveau en tant que sujet. Il me semble même qu'il y a un dessin d'Escher ("Reptiles", 1943) qui peut illustrer assez finement comment la blockchain n'est que la vie du bitcoin, qui l'anime, et qui toutefois en sort (semant l'effroi que n'ont jamais suscité les monnaies "pour rire" ou les monnaies de jeu) et y retourne constamment.
Que le maître me pardonne...
Le livre de Douglas Hofstadter traite en fait d'une Boucle Étrange, un procédé qu'il retrouve dans le canon éternellement ascendant de Bach, dans certaines gravures d'Escher, et dans la démonstration du théorème (proposition VI) de Gödel. Les comparaisons ne sont pas toujours évidentes. Au détour d'une phrase, il écrit au sujet de la proposition VI il est difficile de voir une Boucle Étrange dans cette perle, parce que en fait la Boucle Etrange est dans l'huitre, la démonstration.
A cet endroit j'ai refermé le livre (je n'étais pas bien loin, à la page 19 sur 884 ; je l'ai repris depuis, mais n'en suis guère que vers la page 120 au moment de rentrer).
Εὕρηκα ! Eurêka ! La perle est dans la coquille. L'huître a certes développé une technologie coquille pour une raison qui est par ailleurs liée à la confiance, la confiance qu'en l'occurence elle ne peut faire à personne en ca bas-monde, mais ce n'est pas la coquille qui a de la valeur. Certes on peut aussi y cacher une pièce de monnaie. Ou comme Zézette (épouse X) s'en servir de cendrier. Mais ce n'est pas pour cela que les pêcheurs de la côte d'Oman risquèrent leur vie durant des siècles pour aller cueillir les coquilles au fond du golfe persique !
Que nous apprend la perle ? On l'a déjà dit : comme le diamant, sa composition chimique n'en fait en rien un trésor. Et même, elle a une composition fondamentalement similiare à celle de la coquille car elles sont toutes deux formées d'une concrétion calcaire, l'aragonite (CaCO3). Ce qu'elle a, que la coquille n'a pas, c'est un éclat, une beauté.
La beauté n'est pas perceptible par tous. On ne peut parler de la perle sans se souvenir de l'injonction évangélique (Mat VII,6) : ne jetez pas la perle aux pourceaux que la sagesse populaire, un peu courte, a progressivement transformé en pas de confiture aux cochons.
Mais le texte de l'Évangile est bien plus riche : Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds, ne se retournent et ne vous déchirent. Ici, chacun comprendra ce qui lui plaira.
Revenons à mes vacances.
J'en étais là de mes rêveries quand, un beau matin, je me rends à la petite brocante organisée sur la place du village. Et la première chose que je vois, c'est à croire que... c'est cela : Le rat et l'huître, fable illustrée par Firmin Bouisset (le créateur de la célèbre fille du chocolat Menier et du jeune écolier des petits LU). L'image tire mon oeil : je relis le texte ( ce n'est pas la fable la plus célèbre, sauf pour sa chute) :
Qu'aperçois-je ? dit-il, c'est quelque victuaille ;
Et si je ne me trompe à la couleur du mets,
Je dois faire aujourd'hui bonne chère, ou jamais.
N'est-ce pas ainsi qu'ont réagi les grandes institutions, suivant Blythe Masters, en "découvrant la Blockchain" avec... des années de retard ?
Mais l'huître se referme d'un coup sur le prédateur. La Blockchain pourrait bien en faire autant un de ces quatre matins sur certains qui entreprennent de l'examiner d'un peu trop près.
Cette fable contient plus d'un enseignement:
Nous y voyons premièrement
Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience
Sont, aux moindres objets, frappés d'étonnement.
Et puis nous y pouvons apprendre
Que tel est pris qui croyait prendre.
Commentaires
La coquille (blockchain) n'a que peu de valeur si l'huitre ne contient pas au minimum une petite perle (bitcoins) !
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Non, si un certain nombre de coquilles n'en contiennent pas. il y a là comme dans le minage un élément aléatoire...
JF