123 - Ponzi et Pince-moi sont sur un yacht...

Comme bien des gens, j'ai découvert récemment l'histoire de l'Arnaqueur de Tinder (Tinder Swindler) que l'on pourrait malicieusement résumer en disant qu'il s'agit d'une affaires  d'échanges sur Internet .

Je ne vais analyser ici, de cette affaire qui à de très nombreux égards est emblématique de notre époque, que ce qui me parait intéresser directement ceux qui veulent réfléchir autour de Bitcoin.

Parce qu'au cœur d'une arnaque, au-delà de l'indélicatesse sentimentale, du mépris de l'être humain, de l'appât d'un gain indû et de la soif de jouissances tape-à-l'oeil, il y a essentiellement l'identité (le renard sous la peau de l'agneau) et... les gros sous. Deux sujets adressés par  la technologie blockchain  comme on dit.

D'abord il y a la double (au moins) identité du héros.

On ne peut qu'être frappé par l'aisance avec laquelle cet homme, né Shimon Yehuda Hayut, documente une identité qui n'est pas seulement fausse mais usurpée, celle du fils supposé du couple Lev and Olga Leviev, dont aucun des neuf enfants ne portent le prénom de Simon. Exactement comme sur sa photo de famille, il s'incruste par copier-coller sur la réalité.

Le coût de cette opération est, comme celui de pratiquement toutes les fraudes numériques, infime ou nul. Mon lecteur et moi pouvons, en quelques minutes et sans quitter notre clavier, poster une photo de nous incrustés comme le personnage du Zelig de Woody Allen au milieu de la famille X ou Y, siégeant au Conseil de la Banque Truc ou de l'Autorité de Régulation Machin. En faire usage ensuite sur les réseaux sociaux ne doit guère être puni bien sévèrement.

Plus l'identification d'un être humain repose sur des réalités numériques (ou numérisées) plus grandit l'espace par où s'infiltrer. Ainsi il n'est pas non plus bien difficile de se procurer une facture EDF, cette dérisoire clé de voûte du KYC bancaire : on trouve tout ce qui est nécessaire en ligne pour cela (exemple ancien, par prudence) et le fait que le technicien ne se dérange plus (merci Linky) doit arranger encore la tâche.

Or dans l'affaire de l'Arnaqueur de Tinder, mis à part l'acte sexuel, toutes les interactions des malheureuses se sont déroulées avec un avatar.

Dans un bal masqué cela ne manquerait pas de pimenter la chose, à la manière d'un gracieux marivaudage. Il faut juste laisser sa carte de paiement bien loin des pattes de son cavalier.

J'en reste là, incitant mes lecteurs à faire l'acquisition du pertinent ouvrage de mon ami Alexis Roussel et de Grégoire Barbey, Notre si précieuse intégrité numérique, préface de Jacques Favier, sans pseudonyme.

L'arnaque mérite-t-elle d'être décrite comme un Ponzi ?

C'est ce que fait la presse grand public (ici Marie-Claire) :  l'enquête du journal VG - ainsi que le documentaire - révèlent une arnaque basée sur un modèle de pyramide de Ponzi : Cecilie payait pour Pernilla, Pernilla payait pour la suivante, ect…  .

Or il saute aux yeux qu'il n'en est rien : Cecilie a, si l'on veut, payé le repas de Pernilla, mais elle ne l'a pas remboursée. On pourrait dire qu'elle a payé le Dom Perignon d'un soir, Pernilla la suite royale d'une nuit et Ayleen la Lambo. Aucune d'entre elle n'a jamais été remboursée avec de gros intérêts comme les clients chanceux d'un Ponzi qui se sauvent avant l'effondrement de la pyramide.

Dans un monde d'inculture financière, cet emploi inexact du nom de Charles Ponzi a cependant de quoi consoler celui qui lit du soir au matin des boutades de banquiers ou des approximations de journalistes faisant de Bitcoin un Ponzi.

Le Cercle du Coin avait organisé une rencontre avec Marc Artzrouni, mathématicien spécialiste reconnu du Ponzi (et à titre personnel peu favorable à Bitcoin) : il avait fait justice de cette assimilation inculte. Ceux qui ont un peu de temps et de curiosité peuvent revoir sa conférence ici.

Oublions Ponzi, non sans rappeler (par méchanceté) que la plupart des banquiers qui nous en parlent ont vendu du fonds Madoff, authentique pyramide, pour le coup.

Parlons donc de l'essentiel : des banques.

Les trois malheureuses héroïnes seraient toujours en train de rembourser, chaque mois, et certainement au taux d'usure, une somme totale de 600.000 dollars en principal.

Comme on le voit dans le documentaire, chacune a pu, en quelques heures et sur la base de bulletins de salaires contrefaits obtenir des prêts à 5 chiffres. Non pas une fois, mais trois, quatre voire cinq fois.

Aucune enquête ? Aucune centralisation par la Banque centrale, ou aucune consultation du fichier des emprunteurs s'il existe ? Aucune inquiétude d'Amex et autres quand l'encours de la carte de paiement est rechargé 3 fois en 3 semaines par 3 crédits personnels ?

Curieusement les documents que l'on aperçoit à la dérobée dans le documentaire semblent presque absents d'Internet où ne demeurent que les photos du BG à tête de pervers et de ses noubas de petit mec sorti des bas-fonds.

Ah la belle chose que l'audace des banques, si promptes soudain, alors qu'on les connaît si prudentes en général !

Je ne sais si l'on finira par incriminer le je-m'en-foutisme des banques, si soupçonneuses quand un client dépose 500 euros en cash ou 5.000 en liquide, mais si peu responsables en réalité dès qu'elles sont protégées par la violence des contrats et des lois.

Il y aurait encore une chose à leur reprocher : l'arnaqueur, parmi les mensonges qui ont pu le rendre crédible même aux moments de crise, invoquait systématiquement la lenteur des transferts bancaires. Car la terre entière sait que l'argent promis arrive toujours le lendemain (au mieux) du jour prévu, que le SEPA n'est ni gratuit ni instantané, pour dix mille raisons et notamment  pour votre sécurité. Un paiement en Bitcoin ne se fait pas attendre, et cette différence est considérable.

Pourtant, si l'une des banques de Cecilie aurait passé l'éponge, apparemment aux frais de son assureur, toutes les autres institutions bancaires impliquées semblent poursuivre en justice et par tous les moyens le recouvrement de leurs créances, avec une ardeur qui serait sans objet si elles avaient prêté cela après de longues analyses de risque à des sociétés capables de se placer sous la protection des lois sur les faillites.

Que conclure de tout cela ?

Mais... ce qu'il vous plaira.

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