75 - La confiance par décret ?

On parle maintenant de Bitcoin, au sommet même de l'État, comme d'un facteur de risque systémique (face à des trillions de monnaies légales et des ploutillons d'actifs régulés ou non, mais gérés par des gens du système). Façon de dire que cette expérience menacerait le système financier mondial. Mais l'essentiel de la littérature sur ce fâcheux bitcoin émane encore, du moins pour celle qui est prise en compte par les régulateurs, les politiques et les journalistes, de ce système financier lui-même. Et ceci ne choque personne. C'est comme cela : quand une banque s'estime victime d'un de ses employés, le juge choisit cette même banque comme experte, et il faut des années pour que cela pose des cas de conscience à certains.

La fonction de régulation appartient en théorie à la puissance publique. Ce qui la fonde en droit, c'est à la fois la sécurité de l'État, celle de la population, et la nécessaire confiance de celle-ci dans celui-là. On régule donc largement (et sous des vocables divers : régulation, supervision, contrôle, normalisation, homologation...) les produits financiers comme les médicaments, les communications électroniques, les jeux en ligne ou les voitures à moteurs. Mais toujours avec les mêmes mots: confiance et sécurité.

Or si la sécurité est un fait que l'on peut cerner par des mesures objectives (quand elles ne sont pas manipulées) la confiance est un sentiment humain. A priori on ne peut pas la décréter, pas davantage que l'amour ou le respect, par exemple.

le vaccin monétaireDans une double page publiée en janvier par le Monde diplomatique, la journaliste Leïla Shahshahani a abordé à travers les vaccinations obligatoires, le débat confisqué sur un sujet qui me parait nous concerner de façon patente.

Je m'empresse de dire que je n'ai pas trop d'idées sur la question, parce qu'en soi les histoires médicales m'ennuient. Mes enfants ont été vaccinés.

Ce qui m'intéresse ici, ce sont la confiscation d'un débat, l'instauration d'une prétendue « confiance » par la coercition, les erreurs et les dérives qu'un tel système rend fatales.

En quoi cette vaccination obligatoire peut-elle intéresser ceux qui suivent l'actualité de Bitcoin ?

  • En ce qu'il s'agit d'un système (la santé publique) auquel il est pour notre sécurité pratiquement impossible d'échapper comme il est pratiquement obligatoire d'avoir un compte en banque.
  • Mais aussi en ce qu'il s'agit d'un secteur qui, comme le système monétaire, n'est régulé finalement que par lui-même, c'est à dire par personne en fait.

Ce qui m'a frappé, dès la fin du premier alinéa de l'article, c'est le sentence presque comique par laquelle la ministre des Solidarités et de la Santé, la docteur Agnès Buzyn assume pleinement une posture proprement ubuesque : « La contrainte vise à rendre la confiance ».

Quand on a fini d'en sourire, on peut se demander s'il ne faut pas en trembler. Évidemment le propos est tenu par une scientifique, ministre d'un Etat de droit. Serait-il proféré par l'un de ces dictateurs grotesques que la télévision exhibe toujours à bon escient pour nous faire sentir la chance que nous avons de sommeiller en paix dans un semblant de social-démocratie, on en ferait presque un motif d'intervention humanitaire.

confianceSur le fond, on notera que le Conseil d'Etat ayant fait injonction au Ministère de faire en sorte que les parents qui le souhaitaient puissent vacciner leur progéniture avec un vaccin simple (DTP) sans adjonction de 3 souches non obligatoires, on a préféré changer la loi et décider qu'on mettrait 11 souches. On aurait aussi bien pu changer la Constitution, puisque, selon une autre parole forte d'une grande démocrate (Madame Touraine) « La vaccination, ça ne se discute pas ». On sait depuis Monsieur Valls que la liste des sujets exclus des champs de la réflexion, de la discussion, voire de la simple curiosité, a tendance à s'élargir.

Comme, hélas, il reste des esprits retors prêts à discuter de tout au vain prétexte que nous serions nés libres et égaux et vivrions dans une démocratie où la souveraineté émane du peuple délibérant, les mensonges d'Etat tiendront lieu d'argument. « Des enfants meurent de la rougeole aujourd'hui en France » déclare ainsi tout en finesse le premier ministre, oubliant de préciser que ce seraient justement ceux que leur déficit immunitaire rendrait non vaccinables.

En fait de sécurité, c'est la peur que l'on instille, jusque dans les couloirs du métro, avec des images où l'on ne sait s'il s'agit d'un labo ou du siège de la Stasi...

la stasi médicale

En l'absence de tout débat réel (en demander un c'est déjà se faire mal voir), seuls des médecins généralistes auront estimé totalement disproportionnée la privation de collectivité pour les enfants non vaccinés au regard de risques « inexistants ou infinitésimaux ». Mais un ministre ne va tout de même pas échanger avec des toubibs de quartier...

une petite piquereLe problème d'une confiance imposée par la coercition, même emballée en grande cause et ficelée de mensonges, c'est qu'elle est peu efficace, et que son inefficacité la mine régulièrement : la frénésie de vaccin contre l'hépatite B dans les années 1990 a débouché sur le feuilleton de sa responsabilité dans des cas de sclérose en plaque ; la médiocre efficacité de la mobilisation de 2009-2010 contre la grippe H1N1 (6 millions de doses utilisées sur les 94 millions de doses payées aux labos) a mis en lumière des contrats que le Sénat lui même considéra comme d'une légalité douteuse ; l'utilisation du Pandemrix fut ensuite officiellement mise en cause comme coupable de cas de narcolepsie...

Une part notable de la population continue donc à ne ressentir qu'une médiocre confiance, malgré des non-lieux jugés suspects et les débats trop clairement faussés. Mais les laboratoires prospèrent et il n'est pas interdit de penser que ce soit là l'essentiel.

Sur la forme, de mauvais esprits noteront justement l'imbroglio de conflits d'intérêts, chez des membres médecins voire chez le président du Comité d'Orientation, et même chez certains ministres. La journaliste du Monde diplomatique ne s'étend pas sur ce qu'on désigne communément comme un mécanisme de capture du régulateur. Je n'en dirai donc pas davantage, ce qui m'évitera de paraître indélicat, ou d'être poursuivi en diffamation.

Ce que l'on appelle en anglais la regulatory capture est une théorie économique qui a un gros mérite : elle se vérifie empiriquement pratiquement chaque année à une occasion ou une autre. (j'ajoute quelques semaines après la rédaction de cet article une amusante démonstration empirique, à lire ici)

unregulatedC'est un Prix "Nobel" d'économie appartenant à l'école de Chicago, Georges Stigler (1911-1991) qui l'a théorisée. Mais ceux que la langue anglaise ou la théorie économique rebutent n'ont qu'à suivre les grands procès qui suivent les grands dérapages...

Les mots de réguler, régulation, régulateurs reviennent comme un mantra dans tous les discours publics. Cependant, de scandale du Mediator en scandale Volkswagen, on voit toujours les mêmes ficelles. Il est prudent d'aller prendre chez Stigler la vraie mesure de ce qu'est la régulation.

Concluons en revenant explicitement à Bitcoin.

Il est fort douteux que la régulation, confiée à des autorités très proches à tous égards du secteur bancaire et financier classique, ne produise autre chose qu'une défense tatillonne du secteur bénéficiant déjà de la plus forte protection imaginable (au même niveau que l'industrie nucléaire) contre les nouveaux entrants.

Il est donc frustrant que les autorités politiques n'imaginent guère d'autres voies d'action politique sur une innovation majeure que la régulation, qu'elles n'organisent pas de rencontre ou de concertation sans que les représentants des autorités de régulation ne représentent la majorité du tour de table.

Enfin il est inquiétant de voir que les médias participent de la même confusion, en présentant sans distance critique les régulateurs comme des experts, quand bien même il s'agit d'une innovation qu'ils sont bien moins soucieux de comprendre que de combattre.

Commentaires

1. Le 21 févr. 2018, 20:28 par cryptatometrader44

Belle démonstration de ce que signifie le mot régulation balancé tous azimuts ces deux derniers mois sur la scène médiatique.

Les mass-médias de notre pays sont depuis trop longtemps au service du pouvoir et en même temps atteint du syndrome Asterix comme dirait Jancovici. Les français ont cette fâcheuse tendance a défendre le petit faible contre le gros tout puissant.
Depuis le cérébrolesssivage fallacieux et spécieux de mai 2017 conduisant a l'élection de macreux a la tête de notre pays (pour mieux le solder au plus offrant...), j'ai cessé de regarder tout JT, Journal, émission de Radio France ou émission prétendument d'actualité. Je vais beaucoup mieux depuis.
Les mass-médias de notre pays sont devenus si toxiques pour la démocratie qu'il faut effectivement se demander si nous vivons dans un pays si différent des dictatures montrées du doigt chaque semaine par ces mêmes soi-disant (dés)informateurs ou journaleux.

Le pire de tous est bien B. Le Maire qui confond une division et une multiplication par 3 ! Et c'est le type qui est normalement celui qui devrait représenter le mieux la rigueur de la comptabilité de notre gouvernement !

La ploutocratie et l'idiocratie atteignent des sommets ces deux dernières années. Je ne sais pas ou cela va conduire le pays mais je doute franchement que cela le conduise vers une atmosphère apaisante à terme.

2. Le 25 févr. 2018, 09:35 par maxou

Je comprend votre parallèle mais il est dangereux et inadapté je trouve.

Vous comparez 2 secteurs qui ne sont pas comparables. Vous dites ne pas connaitre le monde de la santé et dans les paragraphes en dessous portez des jugements (sur des sujets que vous ne connaissez pas donc?)

Je perçois dans vos propos une défiance envers les vaccins au-delà du simple droit de critiquer, même si il est vrai que les labos engraissent probablement sur ces vaccins,attention il est AUSSI vrai que les vaccins ont éradiqué nombre de maladies mortelles, augmenté l'éspérance de vie et rendu notre monde plus sûr.
Par ailleurs, ma femme qui n'est pas ministre mais médecin me parle d'un préoccupant retour de certaines maladies à cause des anti-vaccin.
Le problème c'est qu'il mettent en danger la société non pas à cause d'un systeme financier qui pourrait en valoir un autre mais à cause d'un systeme de vaccin pour lequel il n'y a pas d'autre alternative aujourd'hui contrairement à la monnaie, sous entendre le contraire est dangereux ou alors il faut proposer dans ce cas.

Alors oui il y a sûrement un lobbying mais attention à ne pas tomber dans le complotisme facile.

Sachez aussi que ces dernières années un grand ménage à été fait pour couper contact entre les médecin et le labos (tout contact doit être déclaré et entraîne des conséquences pour le médecin, du type ne plus pouvoir participer a certaines activités universitaires etc...) on est loin des accointances banque/etat et le sujet est infiniment complexe.

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Cher Monsieur, comme je l'ai précisé je n'ai pas d'opinion sur le fond, et mes enfants sont vaccinés ! Sans "complotisme facile" je décris la façon dont les élites s'y prennent pour faire régner le bien et le juste sans consentement, sans dialogue, par un mélange de coercition et de propagande qui est probablement responsable d'une partie de la défiance. Autrement dit, plus je vois le ministre vanter les vaccins, plus je m'interroge. Ce ne sont pas les anti-vaccins qui sont responsables des foirages comme le H1N1, ni des témoins de Jéhovah qui ont dénoncé le scandale du Mediator.

Le centre de mon propos est donc cette satanée confiance, mot-piège puisqu'en en fait, quand on a confiance il n'y pas besoin de le prononcer, son énonciation est toujours suspecte.  

Au-delà, j'avoue que la séquence 6 souches /3 souches/11 souches me laisse un peu perplexe, que la façon de changer la loi après une injonction du Conseil d'Etat me fait froid dans le dos, que je ne crois pas un mot des grands ménages et des "moralisations" successives qu'on nous annonce en médecine comme ailleurs.

Pour rebondir positivement sur votre aimable message, je note que si les "anti-vaccin" en refusant de se protéger font courir un risque systémique à tous, vous me fournissez un nouveau motif de rapprochement entre les deux domaines : ceux qui acceptent la divulgation de leurs données personnelles, l'existence de back-door dans leurs messageries etc etc (bref les bons citoyens en état d'urgence) font courir un risque aux autres. C'est un thème central dans les convictions des cryptos! 

Cordialement

JF

3. Le 28 févr. 2018, 10:09 par maxou

bonjour Jacques,

Mon commentaire précédent était certes un peu vif (comme l'est votre article) et je tenais à préciser que je suis trés interessé par votre approche des crypto-monnaies étant moi aussi crypto enthousiaste.

Merci d'avoir publié

4. Le 4 mars 2018, 09:19 par Jacques Favier

Le rapprochement que je fais ne doit pas être tout a fait illégitime : je le retrouve dans le rapport du Concours de l'ENA 2017 . Je cite : " le dossier pouvait aider les candidats à revenir à l’actualité et au concret : il comportait des exemples des succès et des échecs de l’administration (en particulier, outre le domaine bien connu de la santé publique, on attendait l’évocation de la confiance que l’on peut accorder, ou non, aux pouvoirs publics pour garantir l’épargne ou la valeur de la monnaie)." 

5. Le 7 mars 2018, 18:23 par Jacques Favier

Sur la "capture du régulateur" une amusante démonstration empirique (rassurons-nous, c'est aux Etats-Unis, ça n'arriverait pas chez nous, d'autant que les donnés ne sont pas disponibles) en partant des déplacements en taxis.

La discussion continue ailleurs

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