152 - Le choc géopolitique

Voici un ouvrage co-signé par un spécialiste de géopolitique et un entrepreneur bien connu dans le monde crypto qui abordent Bitcoin selon un angle relativement nouveau, mais dont l'urgence pointe son nez dans le débat.

Ils semblent aussi viser un lectorat nouveau, peu en quête des débats passionnés qui secouaient le petit milieu coagulé autour de la genèse de Bitcoin et qui sont présentés sobrement mais rapidement. Il était sans doute temps.

Je remercie les auteurs, tous deux membres du Cercle du Coin, de m'avoir adressé ce nouveau livre orange !

On entre très vite dans le concret : le minage, qui est tout sauf virtuel et s'opère non dans le cloud mais sur le plancher des vaches, lequel n'est ni un terrain plat ni une table rase, mais plutôt un tapis de ce jeu d'argent et de hasard qu'est le minage, tapis sur lequel toutes les cases, principalement caractérisées par le coût local de l'électricité mais aussi par les diverses contraintes naturelles ou régulations publiques, ne se valent évidemment pas.

Il ne s'agit pas, comme au  Bitcoin Monopoly  d'un jeu entre cryptobros, ou d'un concours de shitcoins. C'est ici un jeu où les détenteurs des machines de minage, simples passagers sur telle ou telle case ne sont pas les seuls en lutte, mais où les autorités (politiques, énergétiques) régissant lesdites cases participent à une autre forme de compétition, avec une vaste gamme d'objectifs possibles.

L'ouvrage de Stachtchenko et Galli présente donc les rivalités internationales pour capter le minage, sa puissance de calcul, sa capacité de valoriser les surplus énergétiques. Il serait à souhaiter que les OG de Bitcoin ne soient pas les seuls à méditer ces intéressants éléments quand le  débat  public reste tellement englué (et hélas pas seulement sur les plateaux télé) dans une colle de sottises mal informées et mal intentionnées.

Citant opportunément ce monument qu'est Yves Lacoste, géographe et père de l'école française de géopolitique ( Le rôle des idées – même fausses – est capital en géopolitique car ce sont elles qui expliquent les projets et qui, autant que les données matérielles, déterminent le choix des stratégies ) les deux auteurs montrent comment la bataille du narratif autour de Bitcoin a évolué, de part et d'autre de la ligne de front qui — elle — n'a jamais cessé d'exister.

Passé le stade des joutes verbales, l'épisode de la  monnaie Facebook  et l'émergence des stablecoins, véritables relais d'influence du dollar américain, ont marqué la fin de l'ère de l'indifférence publique. On a vu se déployer une riposte réglementaire (Mica) et une manœuvre sur le terrain même avec l'arrivée des divers projets de monnaie numérique de banque centrale aux promesses ronflantes mais aux contours vagues, aux ambitions contradictoires et au caractère liberticide peu équivoque.

Tout ceci crée-t-il une situation propice à Bitcoin? Des tentatives d'adoption publique se font jour, par le Salvador notamment, dont l'expérience est décrite en détail et avec nuance. Mais c'est surtout sur les opportunités multiples qu'il peut représenter pour les États-Unis que se concentre l'analyse. Le cas de la Chine, avant et après le paradoxal tournant de 2021 et à l'aune de son ambition de constituer une monnaie numérique instrument évident de contrôle social, le double jeu tacite encouragé à Hong Kong, ou les contradictions de la Russie qui dispose de nombreux atouts et peut se servir de Bitcoin comme instrument de contournement des sanctions, mais ne le considère que comme un instrument asymétrique... bref le jeu mouvant et incertain des BRICS, tout est exposé de façon claire et convaincante, même si parfois au conditionnel (pour la Russie) avant d'en arriver au cas français.

La France, même si depuis quelques années il convient de l'appréhender dans un cadre d'ensemble qui est celui du décrochage européen, aurait de nombreux atouts. Mais le spectre du Minitel (symbole d'un retard plus culturel que technologique) qui hante toujours les lieux de pouvoir, l'hyper-centralisme hexagonal, l'aversion au risque sublimée en névrose régulatoire (l'expression est de moi!) composent un terreau peu propice alors même que Bitcoin, la monnaie énergie, est au carrefour des domaines d'excellence français, nucléaire, production de semi-conducteurs, industrie financière, couverture mobile. Elle offrirait de quoi se dégager de certaines mâchoires (on pense aux affaires Alsthom ou BNPParibas) qui ne semblent pas moins menaçantes que jadis.

L'ouvrage explore la diffusion de l'onde de choc suscitée par Bitcoin dans de nombreux pays, permettant ainsi de citer une large gamme d'écosystèmes fort divers, comme le sud-coréen (où Bitcoin bénéficie d'une surcote) ou la Royaume-Uni, où il pourrait être affranchi des lourdeurs du réglementent Mica.

Si aucun pays n'a, à ce jour, clairement sauté le pas, Bitcoin représente-t-il une opportunité stratégique pour les entreprises ? Celles-ci détiendraient plus de 10% de l'offre globale et certaines multiplient des prises de position (parfois imprudentes) qui apportent à Bitcoin la respectabilité (ou du moins la publicité) que les politiques lui refusent. Par souci de diversification, par ambition d'un rôle pionnier, elles le font à leurs risques et périls. Mais elles le font et certaines, notamment celles qui font la promotion d'ETF, jouent un rôle crucial.

Bitcoin est-il une valeur refuge face aux incertitudes géopolitiques ?

C'est l'objet de la troisième partie : à partir d'un examen des enseignements de la crise du Covid et de la guerre en Ukraine, et en se fondant sur une analyse des vertus particulières de l'or et des enseignements de son marché, les auteurs esquissent (seulement) la réponse. Il s'agit d'une  longue marche  même si sa longueur n'est sans doute que le reflet de notre impatience, car après tout  représenter plus du dixième de la valorisation de l'or, actif pluri-millénaire, en l'espace de 16 ans et face à la quasi-opposition des États et des banques centrales relève d'une performance extraordinaire . Je n'ai qu'un mot à ajouter : et d'une clairvoyance dont nous sommes quelques-uns qui pourrions être loués.

Souvent fatigué des pesants cantiques autrichiens que tant d'auteurs bitcoineurs récitent avant d'en venir au fait, je suis heureux de voir citer Henry Ford (seul vrai visionnaire de Bitcoin, selon moi) . Il est pertinent d'opposer Bitcoin, monnaie gagée par une dépense énergétique réelle et les fiat, fondées sur une promesse (tenable ou non) de tout ce que l'on voudra dans le discours, et sur une dépense énergétique future dans la réalité. Il est fort utile de présenter ici en détail le business model du minage et ses vertus (notamment sa flexibilité inégalée) dans le cadre de la transition énergétique, même si celles-ci commencent à être vantées par des industriels de l'énergie et lentement prises en compte par ceux-là même qui imputaient la fin du monde à Bitcoin il y a quelques années seulement.

Le livre n'est pas signé par deux  évangélistes  comme les chaînes Youtube en recèlent tant de spécimens. Il s'achève donc par un inventaire des risques, ceux qui ont été surmontés et ceux (techniques mais surtout légaux et politiques) qui pourraient advenir.

Il y a un côté très manuel, très scolaire même, qui fait de ce livre un utile compagnon de révision de bien des choses (c'est toujours mieux quand on sait de quoi l'on parle). Et si l'initiative visant à faire offrir un livre à nos parlementaires devait être reprise, c'est probablement cet ouvrage-là qui devrait être le bon agent orange : il pourrait ouvrir quelques fenêtres dans leur bâtisse à façade borgne.

(Grok refuse absolument d'enlever les fenêtres, autant les insérer dans le narratif !)

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