126 - Bitcoin prend le métro

On ne comptera bientôt plus les publicités qui, dans le métro parisien, évoquent, vantent ou moquent (qu'importe) Bitcoin. J'ai déjà évoqué dans le lardon des offenses la plus savoureuse d'entre elles. Mais il me semble qu'il faut aborder le phénomène de manière plus large.

Le métro est un endroit où l'on accède en payant ou en trichant, les deux pratiques ayant d'ailleurs mollement évolué au fil du temps. Voyez L'Acéphale page 157. Le paiement y est contrôlé, l'essentiel du personnel semblant d'ailleurs dorénavant affecté à la surveillance plutôt qu'au service des usagers. On y fait la manche ou la charité, toujours en cash à ce jour. Les hauts-parleurs signalent en plusieurs langues la présence de pickpokets. Certains de ceux-ci exploitent le NFC avec plus d'adresse que la RATP elle-même.

La Bourse et la Monnaie y ont leurs stations et la seconde y fait régulièrement sa publicité, en septembre 2021 avec une campagne de Myphoto ou ces jours-ci pour Monnaies et Merveilles avec l'agence Claudine Colin.

Au total, un bon endroit pour faire de l'économie dans sa tête autant que le permettent les intrusifs fragments de musique, graves ou rythmes, échappés des balladeurs de vos voisins. La publicité y est aussi l'une des principales menaces contre la liberté de rêver du voyageur, en même temps qu'elle fournit des stimuli à sa réflexion.

Dans l'évident délabrement de notre pays, le métro parisien n'est pas ce qui s'écroule le plus vite. Relisant à l'occasion Un ethnologue dans le métro publié par Marc Augé en 1986 je ne vois qu'un seul réel changement : la plupart des gens ont un smartphone en main. Moi aussi, naturellement, même si je m'en sers plus que d'autres, me semble-t-il, pour prendre des photos quand quelque chose d'intéressant me  saute aux yeux .

C'est ce qui s'est passé tout récemment, dans un cheminement mental dont je ne vais rien épargner au lecteur puisqu'il est assez désœuvré pour me lire.

Ni la promesse de Qonto de classer (sommairement je le crains) les notes de frais du voyageur de commerce, ni celle de Bimpli de payer en puisant dans deux poches à la fois le triste repas du salarié ne me paraissent réellement révolutionnaires. Notez le nom de la Vierge Rouge au milieu, c'en est comique.

La finance classique se donne bien du mal pour paraître nouvelle. Qonto, fondée par le fils d'un patron de BNPParibas est peut-être une licorne française, avec pas mal de capital chinois derrière, mais c'est tout juste un faux nez du Crédit Mutuel. À noter que, comme bien d'autres entreprises financières, elle ferme les relations dès que ça sent le bitcoin. Les néo-banques, comme les moutons clonés, ont l'âge de leurs banquiers.

Quant à Bimpli (ex Apetiz) ce n'est qu'un gadget de Natixis. La chose regroupe tous les avantages proposés au salarié par son employeur et/ou son CSE. Les commentaires sur Google Play ne sont pas extatiques, c'est le moins que l'on puisse dire. Bref bof bof comme on ne dit déjà plus.

En regard, le promesse de Bitcoin n'a pas vraiment à être explicitée. En fait sa promotion gagnerait sans doute à être laissée aux tiers, parce que jusqu'à présent les insiders n'ont pas toujours été ceux qui en parlaient le mieux.

Coinhouse avait ouvert le bal en juillet 2021, avec une campagne plutôt humoristique fondée sur l'exhibition de ce que l'épargne populaire permet vraiment de s'acheter : du dérisoire, en mettant les choses au mieux.

Les objets proposés me paraissaient en effet assez parlants.

Une bouée comme celle-ci, on ne la voit que dans le  petit bain  de la piscine. Et ce n'est un jouet qu'en apparence :  c'est un mécanisme de protection des enfants. Exactement la posture que prennent les régulateurs quand ils parlent des épargnants, et quelques spécialistes de la réthorique anti-bitcoins quand ils parlent des  bonnes gens  ou des   pauvres types  qui vont se faire rincer.

L'éponge, justement, évoquait la nature bifrons de l'épargne : on éponge l'argent des petites gens, qui pour le reste n'ont qu'à se gratter, expression dont le sens populaire d'après Larousse est  devoir se passer de quelque chose, devoir y renoncer ; se fouiller.

La même entreprise réitérait quelques mois plus tard, mais hélas avec une campagne aux visuels moches et aux slogans rédigés dans un français qui n'était pas précisément celui du Père Hugo, comme « Aujourd’hui le bitcoin ça vaut plus le coup… à vous de voir comment prononcer le plus ». En fait, cela ne m'a pas plu du tout...

En mars de cette année, c'est Paymium qui a renchéri avec une campagne conçue par l’agence DD.

A l’occasion de la campagne présidentielle, l'entreprise souhaitait faire passer son message  sur le ton de l’humour légèrement décalé sans viser quiconque . Bref  votez Bitcoin . Seulement les images évoquaient plutôt la campagne de 1965 ou la blancheur Bonux et on ne sait si le nom des candidats (Yolande Pipeau, Patrick Languedebois, Sophie Jirouette etc) attestait du niveau de réflexion des créatifs ou du niveau d'humour qu'ils supposaient à l'investisseur encore indécis.

Tant et si bien qu'on en vient à se demander si ce n'est pas inconsciemment par prudence que les annonceurs français du Bitcoin choisissent ce ton ringard et un look insipide pour éviter ce qui est arrivé en Angleterre où une campagne plus pertinente a été jugée trop  irresponsable  et interdite en mai dernier.

Que disent, maintenant, les autres publicités, celles qui ne parlent pas de Bitcoin sinon comme faire-valoir ?

En avril, juste après les lardons, c'est Cogedim qui se servait du bitcoin, sur le mode ironique, sceptique et un peu prudhommesque du bourgeois bien installé. Juste comme un contrepoint supposé moins attractif.

Mais comme l'avait joliment suggéré Claire Balva dans un tweet remarqué, Bitcoin s'affichait dès lors comme le  meilleur atout pour attirer l’œil du lecteur sur une publicité .

Le côté boomer nanti de la campagne Cogedim laissait sans doute une place au doute. Nicolas Louvet y répondit non sans pertinence ici rappelant ironiquement qu'il faut, dans l'investissement immobilier, s’attendre à de longs retards de livraison, à un prix du m2 souvent sensiblement plus cher que pour des biens anciens ou récents, ce qui compromet fortement la rentabilité ; que la qualité de la construction n’est pas toujours au rendez-vous et cela affecte la valorisation à terme du bien et les travaux à prévoir à la sortie ; que les frais d’acquisition s’élèvent à plus de 4% et ceux de sortie bien plus encore ; que la liquidité n’est pas toujours évidente, et que donc il faut attendre parfois 10 à 15 ans pour valoriser son investissement ; et qu'enfin acheter pour louer n’est pas sans risques ni coûts (impayés, logement vide). Encore oubliait-il le squatter...

Au total une campagne qui fait peut-être flop (après tout chacun peut investir dans le Bitcoin et dans l'immobilier, avec un zest d'or en sus si ça lui chante) et qui en dit bien moins que celle des lardons, déjà évoquée, et sur laquelle je ne reviens que pour souligner son principal apport : l'idée que le chaland est peut-être en train de  passer à côté  du truc essentiel.

La plus belle est sans doute celle de Lydia.

Commençons par souligner le paradoxe ! Cette autre licorne française (avec elle aussi le chinois Tencent dans son capital) dont le fondateur Cyrille Chiche confesse vouloir faire  le Paypal de l'ère du mobile  et dont Cédric O considérait qu'elle était devenue  l’app de référence du remboursement entre amis et beaucoup plus encore  est d'une grande ambivalence : sa politique de blocage de comptes en séries au moindre soupçon de blanchiment n'augure rien de bon pour celui qui voudrait faire passer par là du cash-out de crypto. Et certains se demandent si ce sont du vrai bitcoin que l'on achète chez Lydia...

 En même temps  pas question de laisser partir ses clients chez des concurrents comme le géant Binance, Coinbase, Crypto.com ou Ledger. Et donc, en s'appuyant sur BitPanda, elle a fait un pas vers le bitcoin-placement puis le bitcoin-trading mais aussi, quoiqu'avec des pincettes, vers le bitcoin-paiement.

L’agence Socialclub s’est vu confier la conception, la production et le déploiement de la première campagne mass média de la fintech française, pour le lancement de Lydia Trading. En apparence, la « super-app » ouvre les portes d'un monde plébiscité (par le public et les publicitaires) mais qui reste, ou qu'on répute toujours, impressionnant. Grâce à Lydia, il sera désormais possible de trader dans la rue ou depuis son balcon, en toute simplicité. L’univers du trading n’a donc plus le même visage en 2022.

Mais il y a évidemment d'autres messages.

Le style moins iconique que renaissant envoie une première série de messages subliminaux : on a déjà abusé partout des comparaisons imprimerie/internet et autres, souvent sur la base de dichotomies forcées entre univers protestant et catholique. Les codes employés ici renvoient effectivement à des choses semblables (autour d'une liberté du sujet affirmée contre les contraintes antiques ou traditionnelles, les soumissions et les servages).

Le point saillant est que le bitcoineur est figuré tel l'Adam de la Sixtine (catholique, quand même) c'est à dire tel l'Homme qui s'éveille dans une relation directe (fort peu catholique) à Dieu, source de Vie et de Vérité.

La pièce dorée, symbolique absurde et usée, est ici reconfigurée en auréole, suggérant que le bitcoineur accomplit à la fois une conversion et une lutte héroïque vers une vie meilleure.

Notons que les auréoles ne figurent point dans la Sixtine, et même qu'elles trahissent ici un archaïsme qui pourrait bien renvoyer à l'équivoque de Lydia elle-même. Les autres images de la campagne s'en dispensent opportunément tout en conservant l'héroïcité de la montée en compétence du bitcoineur.

Il me semble donc qu'on est là, implicitement, moins dans une réforme sévère de type calviniste que dans un renouveau platonisant au sujet duquel je renvoie à un très ancien billet pour ceux qui ont le temps.

La référence explicite à ce que l'on appelle l'ubérisation n'est pas moins intéressante.

Faire de la pub pour le VTC dans le métro (au-delà de l'allitération avec le sigle BTC) pourrait paraitre paradoxal (ou équivoque...) si le mode de transport n'était pas moins important ici que le mode de rapport. Pour le dire de façon plus crue, Über n'a pas contourné les taxis ; il a contourné l'État, ses régulations, ses trafics de licences et d'influences, et au total l'inefficience qu'il génère. Il l'a fait en s'appuyant sur la mass-adoption. Bien avant Über, en décembre 1984, M. Baudecroux l'avait fait sans vergogne pour protéger sa radio libre des foudres du même État. Utile rappel pour les moins de 20 ans.

En ce sens Lydia me semble faire surtout la publicité de Bitcoin, renouant avec celle, plus directe, de Coinhouse. Si tant est que 10% des européens aient déjà des cryptos, comme la BCE s'en est aperçue avec un confortable retard sur les publicitaires mais aussi les humoristes, les cinéastes, les adolescents, les enfants et votre beau-frère... on n'est pas encore  dans le métro  au sens d'un outil devenu quotidien et populaire. Mais on y va...

Commentaires

1. Le 4 juin 2022, 18:16 par Jean-Jacques Quisquater

On dirait une affiche Michel-Ange métaversée ...

La discussion continue ailleurs

1. Le 1 juin 2022, 15:36 par Bitcoin prend le métro – bitcoin.fr – My Blog

Bitcoin prend le métro – bitcoin.fr – My Blog

(…) Article de Jacques Favier à lire sur son blog, La Voie du Bitcoin (…)

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